Ce 21e siècle qui devrait être spirituel…
D’après André Malraux, ce siècle entamé déjà depuis 20 ans devrait être spirituel …
ou ne pas être. Devant cette alternative saisissante, il semble en effet à propos de nous demander si la vie contemplative, un art de vivre des chrétiens les plus cachés et, apparemment, les moins productifs dans tous les domaines que ce terme recouvre aujourd’hui, a sa place dans le monde actuel. Pour apprécier la ou les réponses à cette question, il nous faut d’abord essayer de comprendre dans quelle direction cet « aujourd’hui » semble nous guider. Je tenterai donc d’analyser ce que ce terme porte en réalités et en gestation afin d’apercevoir la nécessité de — ou l’inutilité de — la vie contemplative en son sein.
« Aujourd’hui », notre présent, point infime entre passé et futur est le résultat d’un acte conséquent de la société humaine qui le vit. Ce présent a par conséquent toutes les nuances des hommes qui le font, le vivent, et le définir avec précision serait donc une gageure, mais il est possible de tenter de le saisir dans ta perspective spirituelle. Pour ce faire, il nous faut considérer trois variables : la conscience politique, la conscience religieuse et un « art de vivre » qui semble spécifique à notre présent. Ces trois variables sont évidemment dépendantes l’une de l’autre, reflétant tant la complexité de la vie en société que ta complexité de chaque être humain.
Sans entrer dans une analyse scientifique de la conscience politique de notre époque, de cet « aujourd’hui » qui nous représente bien, en somme, force est de constater combien cette « conscience » est vivante en chacun de nous et combien son développement nous échappe dans son élan à long terme. En effet, si les données politiques, décisionnelles au niveau de l’Etat comme de ta commune, nous sont délivrées quotidiennement par les media, les objectifs à long terme de ces décisions nous échappent. Le plus souvent, Notre conscience politique ne dépasse probablement pas la compréhension d’un futur de dix ans pour la majorité d’entre nous. Ceci nous installe dans une précarité psychologique limitant dangereusement notre vision de nous-mêmes dans son essence dynamique. Cette vision maintenant à pas incertains de notre devenir, de notre marche, à l’image du trafic routier aux heures de pointe dans nos grandes agglomérations, paraît rendre futile, du moins dépassée, la détermination de l’Homme qui marche de Giacometti l, l’immobilité apparente du « Penseur » de Rodin, l’éternel regard toujours recommencé de Rembrandt, la recherche tragique de Don Quichotte, la traversée sans fin de « La Nef des Fous », et bien sûr, et surtout, le désir de saint Antoine, le rêve communautaire de saint Pacôme, la quête infinie vers Dieu de saint Benoît qui trouve sa douceur dans celle de saint Bernard, et son éclatement dans les étincelles de la spiritualité de Guillaume de Saint-Thierry… et la liste de ces hommes en marche continue à travers les siècles. La marche de ces hommes qui reflète d’une façon ou d’une autre celle de tous les hommes nous fait prendre conscience du temps, ce temps qui semble s’être accéléré de saint Benoît au marcheur de Giacometti. Mais tous les deux arrêteront leur marche car l’objectif de l’être humain est l’action qu’elle soit d’ordre pratique ou spirituelle. En effet, l’homme, pour se modeler, doit avoir du temps et en savourer l’infini. Or, cette faiblesse de l’analyse du devenir du groupe humain à long terme, dans nos sociétés occidentales à tout le moins, met en évidence que ces sociétés vivent dans un concept temporel artificiel, établissant ainsi une continuité en pointillés, suite de hoquets, de hiatus dans notre développement. Ainsi, le terme même de continuité est moins imaginable, pour beaucoup, que les mathématiques de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, alors que l’éternité que cette continuité suggère c’est déjà aujourd’hui, comme c’était déjà hier : elle colore déjà demain sur la trace de l’éternité du piétinement sage de Zénon. Cet apparent piétinement de Zénon replace l’homme dans son homogénéité cosmique, dans une compréhension cosmique de son univers en reconnaissant un temps supérieur au temps : le temps du déploiement de cette petite planète « homophore » qui a eu un début de début, un début qui n’en finissait pas, qui n’en finit pas, dont la fin continuera ce début, comme chaque être humain a un début bien avant sa conception, et une fin qui ne fait que commencer sa vie dans l’empreinte, toujours indélébile, de son passage, empreinte qu’il laisse dans la chaîne de l’humanité marchant la théorie du Temps, « procession singulière »
« Homme qui marche », 1950, in Jacques Dupin, « Giacometti », Paris : Maeght Editeur, 1962. Annexes p.
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2 Le terme « homme » employé dans cet essai a le sens que lui donne Maurice Zundel, celui de « personne
de siècle en siècle. Ce Temps sans limite, le seul vrai Temps, celui que l’on n’a pas encore pu définir ni maîtriser tant conceptuellement que matériellement, a donc été écarté de notre méthode d’approche de la réalité, car le souci de l’économie absorbe, aujourd’hui le souci politique, le souci humain, au point de le diriger. Les raisons de la primauté de ce souci économique sont propres à notre époque : la disparition du danger de mort de la communauté, d’une part, d’autre part, l’expansion au niveau mondial d’un unique modèle économique.
Ce concept économique, basé sur une compétition individuelle et le transfert des pouvoirs financiers en propriétaires « abstraits » implique une toute puissance de l’immédiat, d’une part, car le marché varie vite d’une place à l’autre ; d’autre part, il implique l’application de la philosophie du pragmatisme dépassant largement tous les rêves de son concepteur, William James. Ce concept suppose, aussi, la mise sous silence, même momentanément, d’autres alternatives et il suppose l’adhésion totale de ceux qui l’adoptent car la faiblesse exclut et détruit. Enfin, pour rattraper ou développer ce schéma économique, nos sociétés ont développé des moyens techniques broyant les distances dans ce temps artificiel de nos montres à quartz. En effet, les canaux de communication de {‘audio-visuel* le numérique et le virtuel, transforment chaque membre de la société en un membre potentiellement efficient, si tant est qu’il ait la bonne formation. Nous voici Super Homme, au-delà de Nietzsche : dans un clic de l’ordinateur nous pouvons atteindre Tokyo ou un petit village de l’Indiana. Encore un clic et nous voici en Asie… La possession du monde dans la mondialisation des affaires, dans l’illusion de la communication dans la tension créée entre utilisation et rentabilisation de l’outil électronique, dans l’illusion de la quantité de mots en couleur sur un écran qui ne fait que nous renvoyer à nous-mêmes, qui ne créons que nous-mêmes, pour notre joie personnelle. Jouissance de l’informatique. Le monde est bien alors ce village global de McLuhan, mais il a perdu, du village, la rencontre de l’âme de l’autre sur son visage qui nous oblige à sortir de nous-mêmes, à nous engager dans l’instant de contact, à ouvrir nos oreilles et à arrêter nos yeux dans ses yeux, tandis que nos mots reposent derrière nos lèvres scellées.
Ce système économique informatisé s’appuie sur un réseau d’informations en rhizome, touchant à peu près tous les foyers par l’ordinateur et la télévision, L’indiscrétion de la télévision est évidente : elle trône dans la pièce commune et très souvent dans ia cuisine et les chambres. Elle est fréquemment allumée nuit et jour, souvent un tiers dans les conversations, pas toujours écoutée mais toujours entendue, volant notre regard furtif, distrait ou intéressé. Elle le vole à nous-même et à notre interlocuteur puisqu’elle gêne une attention totale à l’autre. Elle agit en invitée d’honneur, qui, arrogante, coupe la parole, mais toujours brillante, puisqu’elle sait nous englober dans son rêve mondial, au point de nous faire oublier nous-même, nous amener à nous exclure de nous-même pour nous apprendre à nous conformer afin d’être accepté dans ce nuage planétaire, loin de nos soucis, ainsi que le souligne Pierre Babin dans son livre « The new era in religious education »[1]
The television is essentially a system of images that tell Other peoples’ stories by substituting them for our own stories, our current affairs, and the worries and troubles of our private life. ls it possible for our daily dependence on this medium to bring about a change in our way of thinking, in the very object of our thoughts, and even in the great effort that we make to find our information elsewhere?[2][3]
Télévision complétée par la Toile « internet »… Victimes de ces Moloch nous sommes happés hors de nous, tandis que notre intérieur, l’essentiel, est brûlé par le bruit du monde s’imposant à notre silence. Silence parfois stérile, silence souvent utile… mais silence difficile à recréer en nous dans ce qui semble être, aujourd’hui, un monde résonant par ces canaux de communication dans lesquels nous courons un peu malgré nous, tels les marcheurs du couloir fonctionnel sans fin de Vasarely5: nous courons décidément dans les bruits de moteurs, de revendications, de grues, de marteaux, de sonneries de téléphone – portables
ou non- de grésillements de télécopies, de sirènes d’urgence de toutes sortes, de coups de canons, de claquements répétés de mitrailleuses, de sifflements de couteaux sur les gorges, de vociférations, de quêtes, de gémissements de faim, de douleurs physiques et morales dans ces guerres avouées ou discrètes -mais encore plus présentes — pour le pain quotidien, même dans nos pays riches, surtout dans nos pays riches, à leur porte, à ma porte… Cette clameur discordante et déchirante n’est pas seulement l’annonce « toutes ondes » d’une nouvelle sensationnelle concernant un des grands de ce monde, mais c’est aussi, mais c’est surtout, le dés-espoir des abandonnés de la civilisation des multimédias. Un bruit étouffé, feutré, mais persistant, souffle de haut-fourneau refusant de s’éteindre et prenant la suite, et prenant le pas. de ces millions de personnes victimes de génocides dans le siècle à peine passé, sous des ciels d’une beauté rare… Cette même beauté berce aussi le sommeil d’hommes saisissant le bonheur du même geste possessif dont ils saisissent leurs cartes bancaires, d’hommes ne voulant plus faire confiance à Dieu pour leur lendemain puisqu’à Dieu il faut du Temps et qu’ils n’ont que des instants… comme le remarque très justement François Varillon dans « Joie de croire, joie de vivre »[4]
Car, sous le ciel devenu désert, vidé d’un Homme puissant suprême, d’autres puissances prennent naissance et prolifèrent, des puissances qu’on ne craindra pas d’absolutiser allègrement sur tous les plans de la vie intellectuelle et collective. (135)
Et
… la tentation d’impatience, plus actuelle aujourd’hui que jamais : abolir les choses, parce qu’on veut comprendre tout de suite.
Réalités contradictoires qui nous renvoient à notre solitude. Alors, pour combler (ou fuir) cette solitude de façon rapide et immédiate, on plonge dans la religion -ce qui n’est pas la foi- ou les ONG et autres associations dites « humanitaires pansant la plaie sans soigner la cause. Mais le pouvons-nous ? Ne sommes-nous pas à jamais condamner à vivre avec nos illogismes, illogismes que nous avons enrichis par un développement technique ne
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repoussant pas nos limites humaines -du moins encore peu- mais illuminant ces limites d’une lumière qui cache l’ombre, notre manque, au contraire de la lumière de la
Connaissance de Guerric d’Igny
La mesure de notre illumination, c’est de penser que nous avons fait bien des progrès dans la lumière de la vérité quand nous avons pu connaître ce qui nous manque251
(251) 7
Mais cette ombre effacée, celle qui nous donne sens, notre manque, est présente, cependant, depuis notre origine, ainsi que le dit J. — M. Pelt
Compétition/ coopération, symbiose et affrontement : on retrouve à nouveau ce couple de concepts alliant dialectiquement forces centrifuges et forces centripètes, déjà à l’œuvre dans la matière et dans la vie pré-humaine. Car l’humanité est elle-même soumise aux lois qui sont celles de la vie dès l’origine, et même de la non-vie.(112)
8
La différence entre notre monde d’aujourd’hui comparé aux siècles précédents réside donc plus dans la structure technologique que les hommes se sont imposé que dans une différence de cette nature humaine qui montre toujours ses contradictions, ou, pour être plus positif, ses facettes. Kaléidoscopes de longue durée, nous avons multiplié les vues, mais nous n’avons pas su -ou pas pu- changer la vitesse de rotation. La machine s’emballe et nous devons, semble-t-il, lâcher du lest afin d’être à même de suivre la course tout en gardant les éléments favorables à la course. Nous avons tendance à garder le brillant de l’immédiat, le succès matériel, et à abandonner la veilleuse persistante, la marche essoufflante vers l’Amour de Dieu. Dans ce monde qui nous emporte sur ses zigzags magnétiques, que devient la foi, comment pouvons-nous encore devenir -ou rester chrétiens ?
7 In Fr. M. — Alexandre Decabooter, « L’optimisme de Guerric d’Igny », Collectanea Cisterciensis, 19, 249-272. 8 Pelt, Jean-Marie* « De l’Univers à l’Etre ». Paris ; Fayard, 1996.
La spirale géopolitique qui nous entraîne autour de notre planète est, en somme, la concrétisation de la définition géométrique comme une « suite de points car elle est une suite d’informations, elle est une réalité de plus en plus finement fragmentée et demandant une attention forte de notre part puisqu’elle requiert constamment une interprétation, un choix, afin de recomposer le tout de façon claire, Ceci soulève le problème de notre réalité quand nous fonctionnons hors de l’audio-visuel et de la cybernétique.
Or Dieu est une permanence, par conséquent l’acte de « devenir chrétien » se pose apparemment en contradiction avec la réalité électronique de notre environnement :
comme participants de cet environnement nous sommes nous aussi fragmentés, tandis que dans la réalité chrétienne nous faisons face à un vécu continu, enveloppant, pénétrant notre être et un quotidien embrassant le futur, requérant donc de nous une permanence d’attitude, une discipline conduisant à la recherche de l’essentiel, à la rencontre de l’Amour en Dieu, de l’Amour de Dieu en nous. Le christianisme suppose un « art de vivre » dont le matériau est constitué de choix qui ne sont pas nécessairement dans « l’air du temps » tels que le refus de l’extériorisation stérile, de ta compétition sociale et/ ou économique. Le christianisme est la recherche de soi et de l’autre, et de l’Autre, dans le silence du dialogue avec Lui, puisque le christianisme seul nous réfère à un Dieu Incarné. il nous faut ainsi prendre conscience de notre liberté en nous appuyant sur le Christ, homme parmi les hommes, témoin de Dieu dans notre dignité restaurée, afin de pouvoir utiliser notre libre arbitre et notre raison devant les différentes alternatives offertes par la société. Cette nécessité d’une liberté personnelle devant une société étouffante explique aussi le développement de philosophies asiatiques qui proposent maîtrise et contrôle de soi, le développement de sectes diverses qui proposent, elles, la protection -par des moyens souvent autoritaires et néfastes — de leurs membres, car ces philosophies et sectes prennent en compte les caractéristiques physiques et psychologiques de notre monde aujourd’hui, tout en soulignant ta pérennité, depuis des millénaires, du besoin de l’être humain de se distancer, dans sa dignité affirmée, tant par rapport à la société dans laquelle il vit que par rapport à son environnement physique. Ce besoin est aussi affirmé depuis le Ili e siècle par les moines chrétiens, et* bien avant eux, et concurremment à eux, par les tribus et peuples les
plus primitifs qui ont connu et qui connaissent les phénomènes érémitiques. Il y a donc, dans cette recherche de « temps pour soi » une réaction à l’accélération et aux objectifs de la société technologique motivée par cette nécessité psycho – biologique constante de réflexion solitaire. Le problème réside dans le « comment » nous allons satisfaire ce besoin.
La solution pourrait être à rechercher du côté de la communication adaptée à cette technologie électronique tant dans le domaine scolaire que dans le domaine religieux. En effet, l’enseignement de la foi, avant de parler de « vécu » per se, prend déjà en compte, du moins expérimentalement, cette réalité fragmentée qui est la nôtre aujourd’hui. Babin (op.
Cité pp. 150-151) propose des réponses telles que l’utilisation d’un langage symbolique plutôt que conceptuel, arguant que la Bible est elle-même pleine de rêves, de poésie, de symboles, de signes prophétiques qu’il nous faut décrypter, qu’il nous faut pénétrer afin qu’ils nous parlent et que nous entendions la Parole. L’enseignant serait un « éveilleur » (p. 174 et sv.).
L’éveilleur ne transmet pas, stricto sensu, une connaissance, mais éveille le désir de cette connaissance en celui qui écoute. L’objectif de l’éveilleur est de faire prendre conscience à son interlocuteur de son « secret point » ainsi que le nomme Babin (op. cit. Pi 39). Ce point secret est le nœud de l’intériorité que l’on doit découvrir et enrichir afin de combattre l’instabilité et la dispersion de l’être que nous sèment ces vents soufflant les informations en tempête. Seule cette mise au jour de notre intériorité par le langage symbolique faisant appel à notre créativité, notre imaginaire, à nos sens, à notre intuition des analogies, à notre capacité de franchir des seuils pour finalement nous permettre l’accès à un savoir par immersion et participation, peut nous permettre de savourer la foi dans une société définitivement orientée vers une multitude de médias. Est-on bien éloigné de la perception du monde que l’on avait au Moyen-Âge ? Le frère Pierre-André Burton écrit dans un article
. le symbolisme médiéval est dépendant de ce que l’on pourrait appeler un
« réalisme intégral ». De même que toute réalité est riche d’un symbolisme à pluralité de sens (et c’est le rôle de l’allégorie de dégager cette pluralité signifiante) de même également tout symbole est expression d’une réalité -matérielle ou spirituelle- dont la densité d’être (ou ontologique) est aussi consistante que n’importe qu’elle autre réalité qui tombe sous les sens. [5]
Entre notre recherche d’une communication par un langage symbolique adapté à notre environnement qui nous permet de retrouver une stabilité par le développement de notre vie intérieure et le « tout symbole » du Moyen-Âge, la différence n’est pas insurmontable et la communication entre nos deux époques est rétablie : le sens de la marche des moines contemplatifs peut continuer — ou recommencer- à rythmer nos heures de pèlerins.
Mais la foi chrétienne paraît être et est indispensable à une humanité qui se cherche toujours car cette foi représente la compréhension la plus intime, la plus vraie, la plus attentive à nos limites et à nos possibilités, en acceptant les deux. Elle est, par l’Incarnation, l’exemple de l’amour le plus parfait, de l’écoute la plus totale, de l’espoir le plus désintéressé. Il est donc nécessaire de trouver, dans un environnement éclaté et accéléré, le langage qui la ferait naître ou renaître en chacun de nous. Par conséquent il est, semble-t-il, tout à fait légitime de s’interroger sur le bien-fondé des ordres contemplatifs, en particulier ceux que nous appellerons traditionnels par opposition à ceux qui sont nés après le concile
Vatican Il et qui sont plutôt liés au Renouveau Charismatique. A une époque de « transparence ces ordres anciens, contemplatifs, paraissent bien opaques pour la majorité des laïcs. Nous allons donc maintenant nous interroger sur la nature de la contemplation et la vie des monastères dans la vie de notre société mondialisée.
Prie ton Père en secret…
Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père en secret. (Matthieu, 5, 6)
Cette parole du Christ contient les conditions de la prière en général, et de la vie contemplative en particulier. D’après le dictionnaire « Le Petit Robert » la contemplation est une « communion de l’âme avec Dieu », c’est-à-dire une symbiose de l’être humain divinisé en Dieu. Réalisation de l’impossible rendu possible pas la prière car elle seule peut nous permettre d’être en communion avec Dieu. L’environnement nécessaire à une prière
« efficace » est un lieu à l’écart et ayant un caractère privé, intime, clos aux autres, dans lequel se crée un dialogue secret du plus haut niveau puisque l’interlocuteur est Dieu. Nous L’adressons depuis notre être le plus confidentiel, le plus intime afin d’établir avec Lui la communication la plus véridique. Il nous faut être à l’abri des regards de notre prochain car ces regards nous changent malgré nous, qu’ils soient bienveillants ou non. Loin de ces regards nous cherchons la Vérité à laquelle il n’est pas facile de faire face tant elle est révolutionnaire. C’est pourquoi, Thomas Merton, dans son livre « La vie contemplative dans le monde actuel » écrit
« Il faut beaucoup de courage et de savoir-faire pour demeurer tranquillement en présence de Dieu, L’écouter et être attentif à ses paroles. » [6](61)
Cependant, c’est cette vérité, dans ce qu’elle a d’humain et de transcendantale, dans toute sa difficulté à être atteinte et vécue, qui a été perçue et désirée par les premiers ermites chrétiens puis par saint Benoît, saint Bruno et saint Bernard, pour ne citer qu’eux. L’objectif était exigeant, la méthode pour l’atteindre devait donc être exigeante. Pour réaliser cet objectif il fallut créer des communautés dotées de règles de vie particulières, toutes à l’écart des zones d’habitation habituelles.
Cet éloignement des villes et villages était fondé sur au moins deux raisons : l’une était d’ordre économique et l’autre d’ordre spirituel. En effet, il était nécessaire pour vivre concrètement les objectifs érémitiques que les monastères fussent autonomes économiquement, d’une part ; d’autre part, la quête de Dieu à laquelle ces moines et moniales se sentaient appelés était complexe et ne pouvait se poursuivre et porter ses fruits que loin des distractions du monde, quelles qu’elles fussent. De fait, l’injonction qui accueillait (et accueille) le novice cistercien « simpleciter intret et oret » est lourde de sens et de supposés non-dits mais primordiaux pour le développement harmonieux et continu d’un moine : simplicité de vie et prière ne peuvent aider le moine à progresser sur son cheminement vers l’Amour que si les éléments de dispersion qui envahissent la vie à l’extérieur du monastère sont limités ou éliminés car, ainsi que le remarque Decabooter à propos de Guerric d’Igny
Le silence monastique permet de se mettre à l’écoute du Verbe. Ce silence favorise l’avènement intime du Christ et Guerric appelle le Christ « lumière de l’âme et de l’intelligence qui permet de voir l’invisible et de comprendre l’inconnaissable. (op. cit.,
Or, chaque époque a ses bruits, et les siècles passés n’en furent pas exempts. Ils connurent leur procession de guerres, de famines, d’épidémies, de querelles scientifiques ou juridiques, de crises religieuses, d’ambitions personnelles, de grandes découvertes, de créations d’organismes d’entraide, que ces siècles aient délaissé ou non la démarche vers la chrétienté. Cependant, c’est à l’écart que Guillaume de Saint-Thierry écrivait, dans cette Champagne désolée d’alors, « La lettre d’Or » aux Chartreux du Mont-d’or, comprenant dans une intuition fulgurante, le rôle essentiel de la raison dans le grandissement de l’âme vers la dilection en Dieu. Cette adresse, une longue missive témoignant de la foi en l’homme, en ses capacités morales et intellectuelles, comme de la foi en Dieu son auteur, montre clairement que Guillaume pensait que, en plaçant la raison comme clé de voûte de la foi, le moine pouvait arriver à ce « bonheur en Dieu » dont parle Gérard-Marie Dubois dans un ouvrage assez récent. En fait, Guillaume de Saint-Thierry déclare la raison support essentiel du développement de la foi qui, elle, ne peut être prouvée scientifiquement
Dubois, Gérard-Marie. « Le bonheur en Dieu 1995.
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« Une fois conforme à la sagesse, la raison se forme une conscience et se trace une règle de vie… elle se hâte de s’élancer vers la liberté de l’esprit, vers l’unité, et l’homme fidèle devient alors un seul esprit avec Dieu. » (153) [7]
On comprend bien, alors, que la vie contemplative n’était pas — et n’est toujours pas entreprise par le jeune moine comme une libération des obligations de la vie séculière dans le monde, mais comme une progression ardue vers une joie inexplicable, cependant réelle, qui implique des choix constants de la part du religieux, une œuvre de volonté sans faille car, ainsi que l’écrit Enzo Bianchi
. « le religieux devrait constituer une dénonciation de toute suffisance des réalités présentes, une proclamation d’espérance, une narration de l’attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle ; il devrait être une vie tendue vers la Parousie, libre de toute peur et, partant, de tout compromis, ferme dans son adhésion « comme s’il voyait les réalités invisibles » (Hé 11, 27). (120) [8]
Il semble aisé d’imaginer l’adhésion de la société du Moyen-Âge à cette déclaration puisque le christianisme était la règle, mais cependant non sans quelque désordre social ou individuel. Il est en fait très incertain qu’il fût plus « vécu », dans l’ensemble, que de nos jours, si on excepte les églises pleines, mais le respect que tout un chacun lui portait était réel. En effet, la zone entre pouvoir politique et pouvoir religieux était partout très ambigüe, au plus haut niveau, du moins jusqu’à Grégoire VII, et certainement confondu pour la masse de ta population ainsi que le prouvent, entre autres, les peintures de Bruegel l’Ancien.
Effectivement, les tableaux à thèmes religieux montrent bien cet amalgame entre les faits rapportés par les Evangiles et le présent vécu par l’artiste, et ceci du Moyen-Âge à nos jours avec, entre autres, l’exemple de Chagall. Dans « L’Adoration des Mages » 14 le spectateur voit des rois mages en costume du XVI e siècle, riches, mais dont les visages et attitudes reflètent tous les travers de ta société des hommes. De même pour le tableau « Dénombrement de
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Bethléem » [9]dans lequel deux événements se conjuguent : le recensement et le paiement de la dîme, dans l’atmosphère d’un village de l’époque de Bruegel. Cette atmosphère domine sur le fait chrétien, l’arrivée de Marie et Joseph à Bethléem présentée comme un incident supplémentaire, bien qu’ils occupent le centre du tableau. De plus, l’ignorance des petites gens, l’indissociation de l’être de son environnement, donnent au langage cette épaisseur du symbole et de l’allégorie qui rendent évidents, concrets, les prophéties et les mystères de la foi. Toute chose à élucider, ne serait-ce que pour évacuer la peur par le livre, ce qui rendait les moines très utiles dans une société non seulement à grande majorité illettrée, et qui ne pouvait acheter les livres très chers et rares avant l’invention de l’imprimerie. Il est donc obvie que le fait que tout un groupe soit d’éducation chrétienne ne donne pas au quotidien un vécu profondément chrétien, ne le met pas nécessairement en marche vers une spiritualité qui diviniserait l’homme, en référence à l’homme divinisé de François Varillon, ne l’incite pas à emboîter les pas au Christ, alors que ceci était et est l’objectif des moines contemplatifs ainsi que le note Enzo Bianchi
. « la vie religieuse est toujours marquée par une différence qui lui vient de l’Evangile ; c’est une vie humaine, très humaine, une œuvre d’art anthropologique, mais autre, différente, tendue à démontrer que l’impossible est possible, que l’utopie… trouve, par la force de l’Esprit, un lieu d’incarnation dans une communauté, pour autant que cela soit possible à des hommes et des femmes qui n’ont pas fait VŒU de ne pas faillir à l’Evangile, mais de ne jamais cesser de se conformer au Christ en marchant à sa suite. »16
Par conséquent, si l’on peut dire que les monastères avaient une place naturelle et nécessaire dans la société du Moyen-Âge grâce à l’expansion de la chrétienté dans presque tous les aspects de la vie, il est aussi certain qu’ils représentaient malgré tout une transgression de la norme par leur situation géographique, par leur connaissance des
« dessous » de la religion et des sciences en général due à leur monopole du savoir écrit, par
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leur « art de vivre » qui refusait la mondanité pour se consacrer à la quête de l’Amour en Dieu. Les deux premiers éléments rendaient tes moines sûrement très utiles au monde extérieur, le troisième, la quête de l’Amour en Dieu, élément à long terme et difficile d’accès pour tout un chacun, n’était certainement pas le plus considéré à cause de ces deux caractéristiques. Cependant, c’est celui-ci qui perdura jusqu’à nous grâce à l’invention de l’imprimerie qui distribua le savoir, créa la soif d’information qui créa elle-même de nouveaux canaux de communication qui créèrent à leur tour de nouveaux rapports humains basés sur la circulation des affaires. Les moines n’avaient plus la réponse unique aux besoins matériels de la société qui partait de plus en plus vite vers le XXe siècle, remettant en question le catholicisme dans un souci d’ordre et de pureté. Dieu s’éloignait dans notre imaginaire. Cependant, au XVII e siècle, Rancé réforme l’Ordre des Cisterciens vers plus d’austérité afin de répondre, par une recherche pure de l’Amour en Dieu, aux coups de boutoir du protestantisme qui, lui, ne créa pas d’ordres contemplatifs, ce que Kierkegaard et Newman regrettaient, d’ailleurs. En effet, la pérennité des ordres monastiques, grâce au développement de leur vie intérieure et de leur indépendance tant du point de vue économique que moral et spirituel, a suggéré plus d’une remarque dans le « Journal » de Kierkegaard, dont la suivante citée par le Père Charles Dumont dans un article
“The cloister was, after all, a landmark for determining where one was, that is, if one had advanced toward perfection or had foundered into unadulterated worldliness. The cloisters were allowed to be closed down, and now today we realize that we have been groping foolishly for a good long time in full darkness, trying to find out where we are.
“There is no doubt that our era, and Protestantism in general, has need of cloisters once more, or at least needs that some should exist. The cloister is a dialectical movement which is essential to Christianity”. [10]
L’indépendance des ordres contemplatifs, et leur survie furent en fait menacées au cours des siècles. On peut retenir au moins deux moments cruciaux pour l’existence des ordres contemplatifs, avant 1905 : d’une part le schisme d’Henry VIII d’Angleterre d’avec Rome qui amena la naissance de l’Anglicanisme en 1534 et dispersa les ordres religieux ; d’autre part, la Révolution de 1789 en France, amena en 1790, après la dispersion des biens du clergé, l’exil de beaucoup de religieux qui ne voulurent pas renier leurs vœux sous les ordres de l’Assemblée Constituante. Le monastère de La Trappe en est un exemple concret, ainsi que l’explique dom Gérard-Marie Dubois
« La majeure partie de la communauté de La Trappe, sous l’autorité du prieur, voulut rester regroupée sur place. Mais le maître de novices, dom Augustin de
Lestrange, fut assez perspicace dès 1790 sur la tournure que prendraient les événements ; II était d’avis que la communauté devrait se réfugier à l’étranger afin de pouvoir continuer à mener sa vie religieuse…
Vingt profès, relativement jeunes — leur moyenne d’âge était de trente-sept ans % – et trois novices quittèrent La Trappe le 10 mai 1791 et parvinrent à La Valsainte le 1 er Juin d’où ils furent expulsés le 3 juin 1802. Ce n’est que le 1 er novembre 1815, vingt-trois ans plus tard, qu’un groupe de moines, avec à leur tête dom Augustin, reprendra la vie monastique à La Trappe. » [11]
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La décision d’Henry VIII connut, elle aussi, ses résistants et martyrs parmi les religieux et les laïcs, au nom de Dieu et au nom de la dignité qu’il nous confère. Ainsi, dans la pièce de
Richard Bolt Thomas More explique à sa fille Meg et à son gendre Will pourquoi un homme se doit de résister à toute menace de sa liberté spirituelle
“God made the angels to show him splendor — as he made animals for innocence and plants for their simplicity. But Man he made to serve him wittily, in the tangle of his mind! If he suffers us to fall to such a case that there is no escaping, then we may stand to our tackle as we can, and yes, Will, then we may clamor like champions… if we have the spittle for it. And no doubt it delights God to see splendor where He only looks for complexity. But it’s God’s part, not oar own, to bring ourselves to that extremity!”[12]
En plein XVI e siècle, alors que l’Espagne vivait son siècle d’Or, saint Jean-de-la-Croix se battait pour réformer un Carmel décadent et répondre à une société prise par la folie de l’or et des possessions planétaires. Pendant ce temps, ou, plutôt, pour garder le Temps afin de laisser sa main dans la main de Dieu, saint Jean-de-la-Croix écrivait et peignait, notamment le lavis intitulé « Le Crucifié »20 .Lavis de vertige donnant l’impression que Dieu cherche les hommes en un mouvement perpétuel et fou, Christ à moitié détaché de sa croix. Le regard de l’observateur surplombe le Christ incliné dont les épaules sont détachées du bois, mais ce regard de haut en bas peut être aussi le regard du Père sur son fils. On est tenté d’imaginer le geste de tendresse du Père essayant de passer une main réconfortante derrière ces épaules. Il appelle encore les hommes, cri d’Amour du Père, cri d’Amour du Fils, seul au-dessus de ce précipice sans fond qui nous donne le vertige, cris vers l’absence des hommes occupés ailleurs…
Il nous semble donc pertinent de souligner que si, au cours des siècles précédents, le maintien des ordres contemplatifs dans la poursuite de leur but ultime – la rencontre de l’Amour en Dieu- a pu se produire c’est plus grâce à une transgression de normes sociales et économiques de la société qu’à une reconnaissance du « bien pour tous » qui leur aurait été accordée par cette société. En effet, si pendant quelques siècles il était bien reconnu une utilité, ou un rôle, social€ aux monastères, la Renaissance a repoussé cette fonction au second plan. L’enrichissement continu des monastères en biens immobiliers et fonciers jusqu’au XVIII e siècle a plutôt joué contre eux à la Révolution. Cet affaiblissement social s’est fait plus ou moins rapidement se\on les pays et les événements historiques. Mais, cependant, les ordres contemplatifs ont survécu en dépit des courants sociaux, allant plus souvent à contre-courant de la société. En effet, les ordres contemplatifs ont toujours montré, de façon générale, que les moines et moniales étaient absolument humains par leur côté « quotidien ordinaire » et par leur côté extraordinaire, au sens fort du terme. En étirant leur âme vers Dieu, ils ont étiré la nôtre dans la même direction. Mains jointes dans la souffrance de la solitude, mains jointes dans la joie de Dieu, ils tiennent nos mains prêtes à être jointes entre celles de Dieu. Mais nos mains ont-elles encore besoin de celles des moines et moniales, de celles de Dieu, à notre époque ? Longue époque, dure époque, époque étonnante.
Où en est la nuit ?
« On me crie de Séir : « Veilleur, où en est la nuit ? » (Isaïe, 11)
Aujourd’hui » n’est pas aujourd’hui, en fait, Cette aube qui est la nôtre a commencé dans l’antépénultième siècle pour se poursuivre dans le siècle dernier, dans les vagues de révolutions, dans ce flux et reflux d’idées, de colères, de rigidités brandies, contestées, de guerres, et de plages en paix. La Révolution française n’a rien achevé, bien que tout reconsidéré, ouvertement ou non, de ce qui est humain, car la main de Dieu n’a pas fini son modelage. De Chateaubriand qui écrit « Une vie de Rancé » à Rodin qui pétrit « La main de
Dieu »[13], la société s’emballe dans une révolution industrielle en noir et blanc avec ses nantis et ses exclus, Wagner répond aux Romantiques et Debussy va nous dire notre harmonie, tandis que l’Eglise vit un grand Renouveau dépassant celui de la Contreréforme avec non seulement l’essor des œuvres caritatives, mais aussi la renaissance, en France, des ordres contemplatifs. On a déjà mentionné le retour des moines de La Trappe, il faut aussi mentionner la fondation de Solesmes par dom Béranger (1837), membre de l’Ordre des
Bénédictins qui retrouvent l’esprit d’origine de la règle de saint Benoît et ne cesseront, à partir de Solesmes, d’essaimer et d’attirer non seulement des novices mais aussi des laïcs. Ce regard constamment tourné vers l’avenir est la conscience de l’éternité dynamique dans notre présent, un regard optimiste qui, selon François Varillon, porte l’espoir parce que
« Espérer, c’est être tourné vers l’avenir, c’est refuser d’être bloqué dans l’immédiat, en se résignant au présent, aux insuffisances du présent ». 22
Cet espoir ranimé n’existe que par la foi en la présence divine auprès de nous, alors que nous sommes dans une apparente solitude sociale, alors que la lumière n’est plus qu’un phénomène physique. Cette volonté de libération de la résignation à nos limites apparentes est déjà dans la Bible
« Si je t’oublie, Jérusalem,
Que ma main droite se paralyse ! Que ma langue reste attachée à mon palais,
Si je ne garde pas ton souvenir,
Si je ne mets pas Jérusalem
Au premier rang de mes joies. » (PS. 136)
Mais l’espoir meurt chez l’homme seul. Il lui faut, pour survivre, la présence de l’autre pour l’exemple et l’énergie communiqués. L’espoir des contemplatifs est donc lié à leur conviction du compagnonnage du Christ et à la présence de leurs frères partageant la route, tout autant qu’à la présence de leurs frères à l’extérieur, partageant, eux aussi, leur condition humaine. Pour les laïcs, savoir que les moines s’obstinent à aimer le monde et Dieu, s’obstinent à s’émerveiller devant la création, savoir qu’ils prient en compassion et attente, c’est savoir leur dignité profonde, leur beauté, la tendresse qui les entoure et ‘es réchauffe, quoiqu’ii arrive. Et dans ce XIXe siècle où tout devint rapport de forces exacerbées, même dans les arts, il fallut la solitude solidaire des contemplatifs pour vivre la misère du monde et aimer, avec Dieu, au-delà de nos faiblesses,
Notre présent dépasse donc notre temps car ces bruits techniques et scientifiques qui semblent nous dominer aujourd’hui en nous entraînant dans l’avoir au détriment du savoir, ont pris de l’amplitude dans les deux siècles précédents avec la création du chemin de fer à toutes vitesses, du télégraphe, du téléphone, du perfectionnement des hauts fourneaux, de l’essor des banques qui deviennent virtuelles, avec la divulgation des idéologies, notamment le communisme et l’existentialisme sartrien, avec te positivisme et la psychanalyse, avec la cyber communication. La clarté du langage semble nous échapper à nouveau et les sens clairs semblent se dévoyer en étincelles que nos mains et notre imaginaire seuls, semble-t-il, peuvent rassembler en un feu. Mais de quelle nature, et où sera ce feu ?
En fait, le feu est partout sur notre terre, depuis si longtemps, mais notre
« aujourd’hui » flambe de foyers allumés et attisés surtout au cours des deux derniers siècles. Il s’agit de savoir le(s)quel(s) nous devons éteindre… Ou peut-être faut-il allumer un contre-foyer, ainsi que le font les pompiers des forêts ? C’est un peu ce qui s’est passé au XIXe siècle avec le développement de l’entraide catholique pour répondre aux outrances du libéralisme, par exemple. Sans adresser franchement les causes, on pansait les plaies. Une façon aussi de chercher « les fleurs dans le mal » mais une façon aussi de permettre au pouvoir de récupérer, dans bien des cas, la religion, sinon la foi. Car celle-ci emprunte des chemins de traverse, le plus souvent cachés, comme celui que suivit le Père Charles de
Foucault afin d’arriver à son point de rencontre avec Dieu, dans le désert, seul… avec Dieu.
9
« I am alone »[14]dit le Chef Cochise au Président des Etats-Unis, en 1872. C’était sans doute aussi le sentiment des exclus sociaux, des insatisfaits de l’autorité de l’université, des déçus du positivisme, des esprits à la recherche d’un absolu, de ceux qui pressentaient que la vérité était autre, qu’il y avait une Vérité pour laquelle l’on devait se battre, souffrir peut-être. C’est pourquoi un Rodin vieillissant sculpta, en 1908, « La cathédrale »[15]représentant deux mains fatiguées, que l’on devine intelligentes et tremblantes, jointes en une ultime quête.
Mais en ce temps – encore dans le Temps, dans une petite ville assoupie de province, la Petite Thérèse priait pour te monde entier dans son Carmel, et ‘e monde se tourna vers elle, plus tard, après l’achèvement de sa prière d’exilée, après les pleurs de 1914-18. Le monde se tourna vers cette contemplative contemplée qui nous enseigna le « vécu » de l’amour, alors que le nombre des croyants s’amenuisait, malgré des conversions inattendues et devenues célèbres.
Après les génocides et massacres d’Amérique et des colonisations, avant les autres génocides du XXe siècle, avant deux guerres mondiales, deux bombes atomiques, mais contemporainement au développement de la solitude des drogués, de génie ou non, aux attentats anarchistes ou terroristes en Europe et ailleurs, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face murmurait à Dieu son amour de monde, et confiait — au sens fort du terme ses contemporains à Son Amour, dans la connaissance de l’affection et de la confiance de
Dieu envers ceux qui le cherchent, ainsi qu’elle l’écrit dans le « Manuscrit C »[16]
« Ô Jésus, il n’est donc même pas nécessaire de dire : En m’attirant, attirez les âmes que j’aime. Cette simple parole : « Attirez-moi » suffit. Seigneur, je le comprends, lorsqu’une âme s’est laissé captiver par l’odeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule, toutes les âmes qu’elle aime sont entraînées à sa suite ; cela se fait sans contrainte, sans efforts, c’est une conséquence naturelle de son attraction vers vous. De même qu’un torrent se jetant avec impétuosité dans l’océan entraîne après lui tout ce qu’il a rencontré sur son passage, de même, ô mon Jésus, l’âme qui se plonge dans l’océan sans rivages de votre amour attire avec elle tous les trésors qu’elle possède.., » (252)
Amour de Dieu partagé par les priants pour leurs frères de l’extérieur, ceux qui prient peu, ceux qui prient mal, ceux qui ne prient pas, ou plus, ceux qui n’ont jamais prié, mais qui cherchent, ceux qui n’ont jamais prié mais qui ne cherchent rien, sinon leur propre poussière après leur mort… Amour de Dieu nous tenant embrassés…
Les moines, « bios prophetikos », clament la vie en Dieu pour leurs frères engagés dans l’éternité par tant de sentiers difficiles, afin que l’humanité trouve encore le courage de découvrir la Vérité dans la beauté des êtres, selon leurs moyens. « Je vous dirai la vérité en peinture » écrivait Paul Cézanne à un ami. Les contemplatifs veulent faire surgir la Vérité en eux, en chacun de nous, les séculiers, afin que nous ayons, nous aussi, la Vie qui seule nous fera maîtriser notre présent. Thomas Merton définit ainsi le rôle des contemplatifs dans notre temps[17]
“Our silence and solitude are not luxuries and privileges which we have acquired at the Church’s expenses. They are necessary gifts of God to the Church in and through us. They are that part of the precious inheritance of Christian truth and experiences which God has confided in us to hold in trust, in order that the spirit of prayer and contemplation may continue to exist in the whole Church and in the world of our time.
The laity and clergy Who are absorbed in many active concerns are unable to give themselves to meditation and to a deeper study of divine and human things. We feel it is ourfirst duty to preserve for them the reality of a life of deep prayer, silence, and experience of the things of God so they may not themselves despair, but may be
encouraged to continue in their own way to seek intimacy With God in loving faith.”
27
Les moines seraient donc là pour palier à nos impossibilités, à nos manques. en quelque sorte, nous qui sommes engagés dans tant de projets, bon gré mal gré. Ce temps qui nous échappe gêne le développement de notre liberté en tant qu’enfants de Dieu car elle requiert, de notre part, une connaissance de nous-mêmes dans la présence de Dieu. Cette recherche de la connaissance est un effort particulier qui demande une conscience de la présence du Christ en nous, conscience ne pouvant survenir que dans le calme et le silence au creux de notre personne. Les impératifs — ou agression — de la vie aujourd’hui sont un obstacle à cet avènement, obstacle que les contemplatifs peuvent affaiblir ou annuler. Quand nous prions, la faiblesse de notre prière est aussi une barrière qui nous sépare de notre liberté de chrétiens : cette faiblesse, cette difficulté à entrer en prière est notre fragilité humaine. Par conséquent, la prière du moine pour nous nous représente dans sa vocation : elle est notre humilité devant Dieu, la requête du disciple sans cesse répétée :
« Seigneur apprends-nous à prier comme Jean l’apprit à ses disciples. » (Luc, 11, 1)
Autrement dit, les contemplatifs sont eux aussi des maillons de la chaîne humaine, et comme tels sont partis de son tout, et lui sont donc indispensables, ne serait-ce que pour aider les croyants à inspirer leur vie de l’Evangile afin que « suivre les pas du Christ » ait une signification car, en effet, comme le dit François Varillon
27 « Notre silence et notre solitude ne sont pas de simples luxes er de simples privilèges acquis aux dépens de l’Eglise. Ce sont des dons nécessaires de Dieu, à l’Eglise, en nous et par nous. Ils font partie de l’héritage précieux de la vérité et de l’expérience que Dieu nous a confiées pour garder, afin que l’esprit de prière et de contemplation puissent continuer d’exister dans toute l’Eglise et dans le monde de notre temps.
Les laïcs et te clergé qui sont absorbés dans beaucoup d’activités sont incapables de s’adonner à la méditation et à une étude plus profonde des chose divines et humaines. Nous pensons que notre tâche primordiale est de préserver pour eux la réalité d’une vie de prière profonde, de silence et d’expérience des choses de Dieu afin qu’ils ne désespèrent pas, mais qu’ils soient encouragés à continuer à leur façon à rechercher l’intimité avec Dieu en une foi d’amour, »
9
« C’est l’Evangile qui me dit qui est l’homme, ce que doit être un monde humain, dans quel sens la technique, la politique, l’exercice des responsabilités doivent s’orienter pour être vraiment au service de la libération et non pas de la servitude. » [18]
Mais quelle est notre servitude ? Quel est notre esclavage ?
Guillaume de Saint-Thierry souligne qu’il y a d’abord notre esclavage à notre animalité : l’enchaînement de notre esprit à notre corps au point de perdre notre capacité de choix, notre libre arbitre. Cet esclavage vaincu, il nous reste à choisir les voies que nous voulons suivre au cours de notre vie. Ces voies sont multiples, mais deux sont essentielles :
avec ou sans Dieu.
Avec Dieu, nous sommes en chemin pour nous libérer de la servitude du quotidien et de nos limites morales par l’amour de Dieu et l’amour en Dieu. Cheminement de discipline et d’incertitudes mais assuré par l’espoir donné par la foi. Le choix du croyant est celui de l’impossible et de l’inexplicable d’après la raison scientifique de notre temps, bien que les Pères de l’Eglise aient cherché, et cherchent encore à comprendre. Dans ce cadre – là, la vie contemplative prend logique, valeur et place.
Sans Dieu, tout est étonnamment compliqué.
Être un homme…
« -En somme, dit Tarrou avec simplicité, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on devient un saint
- Mais vous ne croyez pas en Dieu,
Justement. Peut-on être un saint sans Dieu, c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui.
- Peut-être, répondit le docteur, mais vous savez, je sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme. [19]
« Être un homme » mais pas nécessairement avec Dieu. Mesurer une grandeur qui ne serait ni dans l’Idée platonicienne, ni dans l’étirement transcendantal des contemplatifs, mais dans l’acceptation des limites humaines. Cette acceptation serait la source de la véritable beauté de l’homme, artisan de lui-même. Cette conviction a eu d’abord une gestation invisible, puis ignorée et refusée pour enfin s’établir comme une évidence dans nos mentalités du XXe siècle et suivant. En effet, deux facteurs principaux ont favorisé le développement de l’athéisme dans un monde chrétien :
d’abord l’attitude des chrétiens eux-mêmes, si lents à suivre le Christ -ou si incapables par leur nature d’homme — puis, ou en conséquence de ceci, le manque d’amour pour autrui qui a amené intolérance et mépris pour l’autre, mon voisin, intolérance et mépris qui ont provoqué -ou accompagné — de grandes révolutions et des changements radicaux dans la philosophie sociale, aidés, bien sûr, par les grandes découvertes qui donnèrent à l’homme le sentiment de sa toute puissance. Tout ceci en accéléré, au cours des deux derniers siècles.
L’homme athée d’aujourd’hui est plutôt militant. Son athéisme s’appuie sur les mouvements sociaux qui ont mis au jour un silence de l’Eglise quant aux cataclysmes liés aux guerres et injustices à l’encontre des plus démunis de la société. Du moins cet athéisme a-t-il ignoré les développements du catholicisme social au cours du XIXe et du XXe siècles. L’échec du christianisme devant l’avènement des sciences et leur divulgation, et devant la montée des haines flambant dans deux guerres mondiales faisant surgir et fleurir la cruauté cachée en chaque être humain a affirmé la tentation de « tuer Dieu ».
La mort de Dieu, proclamée par Nietzsche, l’utilisation de l’analyse historicoscientifique de Marx pour rétablir le respect pour les exclus, la psychanalyse freudienne, la liberté existentialiste centripète ont surgi simultanément à des découvertes magistrales dans tous les domaines de la pensée humaine. Notre aujourd’hui est aussi l’époque du développement de l’atome -tuant et guérissant des multimédias, du confort amenant repos et santé, du moins dans les pays riches.
Ces découvertes ont été bien souvent accomplies par des chercheurs « sans Dieu ». L’arrogance de l’homme aujourd’hui est, semble-t-il, fondée. Mais au creux de ces conquêtes se niche et vit, obstinée, tenace, l’insatisfaction.
Cette insatisfaction est la prise de conscience de chacun de nous : chaque apprentissage génère une question à laquelle l’apprenant veut répondre ; chaque pas fait esquisse un autre pas, chaque plaisir excite un autre plaisir et chaque bonheur goûté éveille le désir d’un prochain bonheur. Dans le domaine spirituel, cet enchaînement devrait mener à la contemplation, à la communion avec Dieu ainsi que l’écrit Jean Holman
« Nous nous sommes mis en route pour voir Dieu et c’est la seule perspective que le moine peut avoir. »[20]
Mais pour les athées, cette route vers l’avenir est une route vers la mort-néant.
Double absurdité : d’abord l’absurdité de vivre en accéléré alors que la fin est la même pour tous, et absurdité de la possibilité de l’existence d’un « rien » existentiel et philosophique. Vide de la consommation…
La consommation recouvre bien des aspects de notre vie, sinon tous, Lorsqu’elle concerne les biens matériels, elle implique la rapidité de son usage et, par conséquent, une accélération de l’insatisfaction. Elle est le maître à penser du précaire et du temporaire. Cette notion s’insinue dans le domaine moral au point de créer une vision de la réalité absolument fragmentée en segments finis. La consommation crée une course effrénée qui ne s’achèvera que dans la victoire de l’absurdité de la mort : la mort victorieuse nargue Paul. La vraie solitude de notre présent est È, dans ce point final. La vraie nausée de Sartre est là aussi, dans ce vortex ne menant qu’à notre suffocation.
Cependant, il y a l’instinct de survie en tant qu’êtres humains, c’est-à-dire dotés de possibilités encore inévaluées, mais ayant, depuis le début de notre existence, l’intuition des beautés que notre cerveau nous fait savourer, Confusément ou clairement nous comprenons la fatigue provoquée par notre mode de vie « en accéléré ». Possibilités entrevues, intuition de beautés à percevoir, ces deux facteurs nous poussent, bien sûr, à nous interroger sur le sens de notre vie, encore, aujourd’hui, dans ce monde d’experts, de technocrates de haut niveau qui nous fabriquent des vérités floues. A notre époque, cette interrogation peut être une recherche de sécurité dans le quotidien, un anti-dépresseur en quelque sorte, ou l’appartenance à l’environnement et au rôle que joue le cosmos dans notre psychobiologie. Cette recherche du sens nous conduit à la reconnaissance de la nécessité de la solidarité d’une part ; d’autre part, à la remise au jour de cet élément de la mémoire collective de toute l’humanité : la religion. En fait, quelle qu’elle soit peut-être. Car le mystère du sens de notre vie demeure dans cette société tourbillonnant sur le temporaire et le précaire. C’est ainsi que de grands artistes se déclarant à tout le moins indifférents au religieux partent en quête, au cœur de leur création, du mystère de Dieu, jetant ainsi un regard de plus en plus profond dans la nuit du mystère, du grand mystère. Telle Georgia O’ Keefe qui a peint, dans sa solitude du Nouveau Mexique, elle la New-yorkaise, « La Croix grise avec bleu » [21], tel Salvador Dalì qui peint, en 1951, « Le Christ de saint Jean de la Croix » [22]après deux rêves. Oui, Camus avait raison : «il faut imaginer Sisyphe heureux » mais pas parce qu’il acceptait l’inévitabilité de son sort, mais parce qu’il poussait inlassablement son rocher en rêvant. Il rêvait qu’un jour, peut-être, le rocher de sa servitude roulerait seul jusqu’en bas de la montagne, et s’y casserait, tandis que lui, Sisyphe, se dresserait dans la lumière de paix…
Cependant qu’au nom de Dieu, les massacres continuent dans ce monde devenu notre immédiat environnement par les ondes, cybermonde…
Mais au nom de Dieu et de Son Amour, les moines se dressent aussi en témoins indispensables de Dieu, non pour accepter le mal, mais pour accepter la souffrance car, comme l’écrit Berdiaeff « Dieu se manifeste dans les larmes versées par l’enfant qui souffre et non dans l’ordre du monde qui justifierait cette larme. »[23]
Plus loin Varillon, dans ce même ouvrage, ajoute cette dédicace de Teilhard de
Chardin en tête des notes de sa sœur Marguerite, une grande malade
« Ô Marguerite, ma sœur, pendant que, voué aux forces positives de l’Univers, je courais les continents et les mers, passionnément occupé à regarder monter toutes les teintes de la terre, vous, immobile, étendue, vous métaphorisiez silencieusement en lumière, au plus profond de vous-même, les pires ombres du Monde. Au regard du Créateur, dites-moi, lequel de nous aura-t-il eu la meilleure part »
C’est certainement pour le petit enfant d’Algérie que les moines de Tibhirine sont restés, témoins de la souffrance du Christ devant la souffrance des hommes et témoins de la Joie que nous apporte l’humilité de Dieu devant tant d’horreurs. Puisque nous somme aimés malgré tout, puisque nous sommes aimés en dépit de nous…, ainsi que le souligne Robert Masson
« Tous les spirituels, et Charles de Foucauld parmi eux, ont pressenti depuis toujours l’importance d’une présence priante au sein d’un monde qui se prosterne sept fois par jour la face contre terre pour honorer son Dieu, l’Unique, le Très-Haut, Celui vers qui se tendent comme des flèches les minarets des mosquées. » [24]
Les moines avec tous les croyants prient pour toutes ces femmes et tous ces enfants égorgés dans ces nuits de velours étoilé d’Afrique du Nord. Ils prient pour que nous pleurions sur le sort de ces enfants de Dieu qui, eux aussi, comme nous, buvaient avidement l’eau fraîche de la source et pour que nous comprenions qu’aimer c’est se déposséder de son égoïsme, c’est s’arrêter de consommer la vie pour écouter l’Amour qui s’approche afin de l’accueillir et affaiblir cette souffrance universelle liée à notre condition d’homme.
Ecoutons encore frère Christophe, moine cistercien à Tibhirine
« J’ai lu hier au soir une longue lettre d’une Algérienne rencontrée il y a trois semaines ici : joie. Ce soir Christian Bobin : l’amour s’en vient, l’amour s’en va.
Toujours à son heure, jamais à la nôtre. Il demande pour venir tout le ciel, toute la terre, toute la langue. Il ne saurait tenir dans l’étroitesse. Il ne saurait pas même se contenter d’un bonheur, L’amour est liberté, la liberté ne va pas avec le bonheur. Elle va avec la joie. La joie est comme une échelle de lumière dans notre cœur. Elle mène à bien plus haut que nous, à bien plus haut qu’elle : là où plus rien n’est à saisir, sinon l’insaisissable. » [25]
« Saisir l’insaisissable » … Cela va bien au-delà des possessions matérielles ou sentimentales, des autoritarismes égoïstes et du temps englouti, des rivalités économiques et des victoires éphémères de la position sociale, Alors n’est-il pas nécessaire, indispensable, que certains choisissent le silence et la solitude pour nous indiquer le chemin de la joie qui peut nous conduire à « saisir l’insaisissable », Joie ultime de la connaissance de l’Amour, joie de se savoir aimé afin de pouvoir aimer ? Disons alors, avec frère Christophe, à l’abri des bras de l’ange de Victor Vasarely[26]
Seigneur
Quand serai-je assez
Clochard pour la joie du chemin
Bandit pour la joie du procès
Voyou pour la joie du baiser,
Croix pour la joie d’être avec Toi ?
Quand,
Seigneur, serai-je assez
Homme pour la joie de ton visage, Ami pour la joie de ton regard, Enfant pour la joie de ton cœur,
Souffle pour la joie d’être en Toi ?
Quand assez
Nu pour la joie de prier,
Donné pour la joie de servir,
Simple pour la joie de chanter,
Corps pour la joie d’être vers Toi ?
Aujourd’hui,
Ma joie,
Suis-je assez Toi ? [27]
Afin que le grain ne meure…
Mai 2020
Références
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Varillon, François, Joie de croire, joie de vivre. Paris : Centurion, 1981.
Homme marche III.
Bronze. H. 49 cm
1-1.
DES MAGES .191
Ensemble (63
9 L’ADORATION
1-1.
LE DÉNOMBREMENT DE BETHLÉEM Musées Boyaux des (n. 571
57) saint Jean de la Croix (1542-1591) Le Crucifié, lavis, avant novembre1577, Avila, Couvent de l’Incarnation.
38 LA CATHÉDRALE, 1908. Pierre, h. 64 cm. Musée Rodin, Paris
Ci-dessu
s Croix grise avec bleu 1929
9
59) Salvador L)ati I.e (l’h rist de .leatl
Cilasgow, Art Gallery.
[1] Babin, Pierre « The New Era in Religious Education ». Minneapolis: Fortress Press, 1991.
[2] La télévision est essentiellement un système d’images qui racontent les histoires des autres en les substituant à nos propres histoires, nos affaires du moment, et les inquiétudes et problèmes de notre vie privée Est-il possible, au regard de notre dépendance quotidienne à ce medium, d’apporter un changement dans notre façon de penser, dans l’objet même de nos pensées, et même dans le grand effort que nous faisons pour trouver des informations ailleurs ?
[3] Vasarely. « Etude de perspective 1935. Annexes p. 30
[4] Varillon, François. « Joie de croire, joie de vivre Paris : Centurion, 1981.
[5] Burton, Pierre-André, Fr. « Pourquoi est-il difficile de lire les Pères Cisterciens » in « Collectanea Cisterciensia 56, 1994.
[6] Merton, Thomas. « La vie contemplative dans le monde actuel. » Paris : Desclée de Brouwer, 1976.
[7] Guillaume de Saint-Thierry. « Lettre d’Or
[8] Bianchi, Enzo. « La vie religieuse est-elle prophétique ? » in « Collectanae Cisterciensia », 57, 1995, 116-131. 14 1564, National Gallery, Londres). Annexes p. 31
[9] 1566, Musée des Beaux*Arts, Bruxelles. Annexes p, 32 16 Variilon, François. Op. cit. p. 119.
[10] Dumont, Charles, p. « A community in the Church » in « Cistercian Studies17f 1971, 274-289 et 283-284.
« Le cloître était, après tout, une borne pour déterminer où nous étions, si nous avions avancé vers la perfection ou si nous étions tombés dans un monde infantile. Les cloîtres ont pu être fermés, et maintenant nous comprenons que nous avons erré bêtement depuis longtemps en pleine obscurité, essayant de trouver où nous sommes.
Il n’y a pas de doute que notre époque, et le protestantisme en général, a besoin, de nouveau, de cloîtres, ou du moins a besoin de l’existence de quelques-uns. Le cloître est un mouvement dialectique qui est essentiel au christianisme.
[11] Dubois, Gérard-Marle, dom. « Le bonheur en Dieu Paris : Laffont, 1996, (pp. 299-300).
[12] Bolt, Richard. « A man for all seasons ». New York : Vintage Book, 1960, (73)
« Dieu fit les anges pour lui montrer sa splendeur — comme i’ fit les animaux pour l’innocence et les plantes pour simplicité. Mais l’Homme, il le fit pour le servir intelligemment* dans le dédale de son esprit I S’ik consent à nous laisser tomber dans une situation sans échappatoire, ators nous devons rester sur nos positions aussi bien que nous le pouvons, et oui. Willi alors nous pouvons crier comme des champions… si nous en avons le souffle. » Et sans doute cela réjouit-il Dieu de voir la splendeur où il ne cherchait que la complexité. Mais c’est le rôle de Dieu, pas le nôtre, de nous mener jusqu’à cette extrémité I » 20 « Le Crucifié 1577, Avila, Couvent de l’incarnation. Annexes p. 33
[13] Rodin. « La main de Dieu », 1898, The Metropolitan Museum of Art, New York. Annexes p. 34 22 Varillon, François, op. cit., (211).
[14] « Je suis seul ».
[15] Rodin, « La cathédrale Musée Rodin, Paris, Annexes pt 35
[16] SF Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, « Histoire d’une âme », Paris : Éditions du Cerf, 1995)
[17] In Père Charles Dumont, op. cit.
[18] Varillon, François, op. cit., (p.222).
[19] Camus, Albert. « La peste Paris : Gallimard.
[20] Holman, Jean. « Gilbert de Hoyland : la joie monastique » in « Collectanea Cisterciensia » 48 1986, 279-296.
[21] 0’Keefe, Georgia. « La Croix grise avec bleu 1929, The Albuquerque Museum. Annexes p. 36
[22] Dal), Salvador. « Le Christ de saint Jean de la Croix 1951, Glasgow, Art Galierv. Annexes p. 37
[23] Berdiaeff. « Esclavage et liberté de l’homme ln François Varillon, op.cit. (271). 34 Varillon, François. Op.cit. (276).
[24] Masson, Robert cc Tibhirine, les veilleurs de l’Atlas Paris : Cerf, 1997, (42).
[25] Frère Christophe, in Masson, Robert* Op.cit. ((72)
[26] Vasarely, Victor. « L’ange », 1945-46, Collection Karoly Szélenyi,
[27] Frère Christophe, in Masson, op. cit., (72)