Etude de la traduction par Ben Stoltzfus du roman d’ Alain Robbe—Grillet et de René Magritte: « La Belle Captive ».
A mon professeur et ami Ben, dans la joie de transgresser…
Wysza Szkola Pedagogiczna Instytut Filologii Obcych Miedzyzakladowa Pracownia Badan Translatorycznych
le 11 mai 1998
Prof H. Suzanne
La traduction, « La Belle Captive »: une enquête inconclue en littérature comparée. . .
On pourrait dire que la littérature comparée est la tentation latente du fusionnement de l’autre littérature, de l’autre écriture, en la sienne propre, en soi. L’étude de
l’autre est une tentative de mieux le connaître afin de mieux se connaître, Autrement dit, ce n’ est pas un acte gratuit, ce n’est, pas une recherche objective, neutre. Notre réflexion sur
l’écriture « d’en face » , comme dirait,1’ Observateur de Julien Gracq (« Le Rivage des Syrthes »),n’est menée que par rapport à nous les comparatistes. Alors, quand nous nous approchons, ou pensons nous approcher, de cette Jouissance que fait surgir en tout vrai lecteur 1’écriture qui vient d’une autre jouissance, celle de I’ écrivain qui met son corps sur la page blanche (Michel Foucault , « Mon corps, ce papier ce feu » in « Histoire de la Folie » Paris: Gallimard, 1972), la tentation de la vivre passe par la traduction de ce texte qui illumine ses marges. Il nous faut passer sur une autre rive. Aller de I ’acceptation à l’ invention, puisque toute traduction, en littérature, est une invention.
Traduire … faire passer…
Une envie, un projet, un rêve, une décision, et sous la lampe ou dans le secret du coin—bureau, on contacte le passeur. . II va nous emmener en un voyage aventureux, une « Traversée difficile » (1964) , dirait René Magritte, voyage risqué pour 1’énergie,le temps et l’enthousiasme, car il s’ agit de faire passer une œuvre d’ une rive à autre du savoir, d’une 1angue à l’autre, d’ une culture à 1′ autre.
Lorsqu’il s’ agit d’ un auteur peu connu dans le pays de la langue maternel1e du comparatiste, le désir de le populariser est un facteur très important, même si 1’entreprise est très ardue, comme ce fut le cas pour la publication des poèmes de Saint—John Perse aux Etats—Unis. La traduction de Saint—John Perse réussit d’ ailleurs la gageure de le faire plus apprécié, ce moment—là, aux Etats—Unis qu’en France !
Quand 1’auteur est déjà connu, comme l’ est Alain Robbe— Grillet, le désir de traduire ses œuvres est beaucoup plus personnel, par conséquent, et plus complexe, d’autant plus que nombre de ses livres ont été traduits en anglais auparavant. Dans le cas de la traduction qui nous intéresse, « La Belle Captive » il s’ agit plutôt de « partage d’ esthétique » de « partage de savoir » et/ ou de prétexte c’est-à-dire non seulement d’ une « excuse » mais aussi d’ une préparation à aller plus loin tant dans la connaissance de 1’ auteur traduit, que dans sa réflexion personnelle de chercheur. En somme le voyage d’une langue à 1’ autre est motivé, ici , par la personnalité du traducteur, dans ce qu’elle renferme de curiosité artistique et scientifique, dans ce qu’elle nourrit, d’affinités avec 1’ œuvre que nous voulons traduire. Le traducteur désire dévoi1er ces mystères d’écriture qui nous condamnent, au fond de nous, à être d’ infatigables Œdipe devant un sphynx éternel. Le comparatiste est un transgresseur permanent des 1imites de sa langue et de sa culture: il rêve de deux ou trois mondes liés en un réseau d’ intérêts professionnels et d’altruismes de toutes natures, C’est cette alliance d’admiration, de complicité intel- lectuelle, de recherche académique personnelle et d’amitié qui a sans doute poussé Ben Stoltzfus à traduire « La Belle Captive » (Bruxelles, 1975), roman d’ Al Robbe—Grillet et de René Magritte, peintre surréaliste dont Robbe—Grillet uti lise les peintures.
Car qui est Ben Stoltzfus? Un voyageur qui a suivi le passeur de la langue, migration qui commença dans ce qui n’ était pas encore l’ Europe de l’Est au sens politique du terme, mais déjà, évidemment, bien au—delà de ses Etats—Unis de naissance. Et puis les sons du français à Beyrouth et ailleurs, puis un doctorat en français sur la fameuse Côte Est sans oublier le défi du sport. Ouverture de la vie saisie deux mains… La traversée continua avec 1’ enseignement et la recherche universitaires sur une berge et la création littéraire sur 1’autre berge. Auteur d’ouvrages nerveux, toujours en mouvement et dont la conclusion est laissée au lecteur, son style est direct, bref, tout en notations d’observations. Le passage renferme encore son énigme attirante…
Mais quoi de plus mystérieux qu’un passage? L’ inventeur qui le vit souffre d’ une espèce de claustrophobie et ne peut être qu’ailleurs, ainsi que le dit Michel Serres dans son livre « Passage du Nord—Ouest » (Paris : Minuit, 1980).
L’inventeur n’est pas inventeur parce qu’il est du dehors… non, il est inventeur parce que tout 1’espace est toujours pris, créneau par créneau, comme on dit, millimètre par millimètre. Il n’a pas eu d’ endroit, où poser sa tête et dormir, comme dorment les paresseux. Il faut donc qu’ il invente, s’i1 veut survivre, et qu’ il invente aussi un espace tout neuf, sans rapport aucun avec le vieil espace imbécilement partagé. Il faut qu’ il crée, pour vivre, car il vit au voisinage de la mort.
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Comparatiste anglais—français Ben Stoltzfus s’ essaye donc naturellement à la traduction français/anglais, et plus particulièrement, aux œuvres de son ami Alain Robbe—Grillet pour non seulement enrichir sa réflexion de chercheur, mais aussi mieux connaître et faire connaître cet ouvrage qui résonne de tant d’échos de son voyage personnel dans 1′ écriture, de tant d’échos du voyage de Robbe—Grillet et de celui de Magritte.
La nature de 1’ouvrage « La Belle Captive » (texte écrit vis—à—vis du texte pictural) n’est pas originale puisqueAragon, par exemple, avait écrit une sorte de somme poétique en regardant les peintures de Matisse (« Matisse ». Gal1imard, 1971). Elle n’est pas, non plus, très inattendue chez un auteur tel que Robbe—Grillet qui est souvent passé de I’ écrit à I’ image, par ses films. On ne peut pas dire, non plus, que ce livre soit typiquement français, au sens où les universités américaines comprennent cette expression, et où le monde académique, en général, le comprend. Cependant son auteur, celui du texte écrit, est le chef de file d’un courant bien exploité et bien suivi outre—atlantique: le Nouveau Roman. Ecriture en devenir, action en éclats, mystère du parcours, dénudation et dénuement du thème—objet, de l’ action—objet, du personnage-objet et de 1’objet… Le style de Robbe-Grillet, dans cet ouvrage comme dans les plus connus tels que
« La Jalousie », « Le Voyeur », mais nous ne les citerons pas tous ici, devient lui—même 1’ objectif de 1’écriture: phrases courtes, vocabulaire courant du temps présent, vocabulaire technique parce qu’il doit représenter 1’ objet et non le commenter, psychologie en instantanés (de celle qui est pratiquée au quotidien) un mouvement à la Zénon, tel que le décrit Michel Serres dans « Le Passage du Nord-Ouest’ (1980)
Zénon partit d’ Athènes pour aller embarquer n’ importe où, sur la côte. Je trouverai partout un pêcheur disait-il. Parvenu au milieu de son voyage, certains disent au tiers, d’ autres disent au quart, mais les plus avertis prétendent. au nième, il infléchit un peu sa direction, à droite, disons d’un quart, comme comptent les matelots. Il était fatal qu’il parvînt au deuxième milieu, au deuxième tiers, au deuxième quart, je ne sais ; … (12)
Somme toute, un style facile à traduire en anglais puisque 1’anglais s’accommode mieux des phrases courtes que des phrases longues, du concret que de 1’abstrait. Il y a, dans cette écriture, une atmosphère de « droit au but », d’ efficacité qui se moule heureusement avec I idée américaine de pragmatisme et de faits observables. D’ autre part
L’incertitude du mouvement et des limites du temps convient aussi au sentiment anglo—saxon que tout peut encore être possible, qu’il y a toujours de la place dans chaque vie pour un autre projet: faire n’ est jamais fini et simplement être est une faiblesse. La créativité de l’ anglais se prête bien à ce mouvement accéléré, ce qui explique son invasion du monde dans le domaine technique et certains domaines scientifiques, L’acte est saisi, emboîté dans sa conséquence (qui est souvent un autre acte) et présenté dans un dépouillement monacal qui est aussi concret que suggestif, comme le montrent ces quelques exemples de « La Belle Captive » en français et en
anglais (dans la traduction de Ben Stoltzfus) :
I, Quand il ne reste plus le moindre interstice, . .(62)
When not even the slightest interstice remains. . (68)
2.
êtes—vous bien sûr qu’il soit question d’un oiseau, dans cette histoire, et non d’un grand poisson ?… (103)
Are you quite sure that this story is about a bird and not about a big fish’? (109)
3. Autant que je puisse m’en rendre compte, ils conservent toujours leurs 1 longs manteaux noirs strictement boutonnés et leurs chapeaux melons enfoncés sur le crâne… (101)
As far as I can tell, they always wear they long black buttoned—down coats and their bowler hats crammed down over their heads. (107)
Dans la première citation, on peut constater que l’ intérêt de l’ anglais porte sur I’adjectif de interstice, slight, par sa projection au début de la phrase et précédé de l’accentuation not even, alors que le verbe se perd un peu dans la fin de la phrase .
Dans la deuxième citation, le point important, dans notre discussion, est le glissement du français « qu’il soit question d’ un oiseau » à 1′ anglais « this story: is about ». Dans le premier cas, la réflexion semble être a priori sur l’oiseau dans 1′ histoire, tandis que dans le second elle porte plutôt sur le développement de 1’ histoire dont le thème serait 1′ oiseau. C’ est ici un glissement de point de vue rappelant le fameux exemple « Attention, travaux! » « Caution! Men at work ! », etc… Dans la troisième citation, nous avons, en français, « des longs manteaux noirs strictement boutonnés », tandis qu’en anglais ils sont « buttoned—down » éliminant ainsi le strictement qui ne signifie rien autre, dans ce contexte que le fait qu’ils sont boutonnée jusque en bas ou entièrement boutonnés, toutes deux expressions qui ne donneraient pas cette Idée de sévérité et de réglementation qu’exprime strictement, alors que l’expression anglaise buttoned—down peu± varier en puissance
d’expression selon les contextes. On peut supposer que si le traducteur avait plutôt choisi 1’expression button—down, il se serait plus rapproché de 1’idée forte de strictement, mais il aurait perdu cette mouvance, ce flou des souvenirs du narrateur et de 1’ indécision de 1’ écrivain porté par son écriture.
Dans la même citation, on a des « chapeaux melons enfoncés sur le crâne », tandis qu’en anglais on lit their bowler hats cramned down over their heads. Si le français « enfoncés sur le crâne » montre clairement des chapeaux recouvrant tous les cheveux, strictement dirions—nous, 1’expression elle, ajoute une information sur 1’ état des chapeaux et l’humeur des interrogateurs : les chapeaux sont déformés et englobent étroitement la tête. Ils ont perdu la dignité des couvre—chefs des personnes sérieuses! On sent la violence de la main qui les a enfoncée, et le ridicule de la situation m devant cet accusé élégant à la Cadi (mais est—ce lui ? ) ! On perçoit bien ici le traducteur à la « Rencontre du Plaisir » (1950)
Mais allons plus loin dans le livre de Robbe—Grillet, afin d’appréhender son frère jumeau anglais. L’ expression « jumeau » est—elle audacieuse ? A peine, car deux des personnages sont les jumeaux faux clame le texte (17), David et Vanessa. Des faux jumeaux… Ainsi en est—il du texte original et du texte traduit de 1’écrivain et de son traducteur. Fasciné par la beauté de l’écriture originale, le traducteur, ce ‘traditore’, ce traitre, ce faux—frère, sculpte la traduction « à l’image » du modèle, mais est—ce à la « ressemblance » ? Cette petite nuance a son poids puisque la « ressemblance » est une manière d’ être, un art d’exister donc; alors que l’ « image » est un « symbole » une « hallucination » qui n’engage pas nécessairement l’ essence de 1’existence, tandis que la
ressemblance » le fait toujours. En effet, l ‘ hallucination est, si on inverse Plutarque, la lumière de |’ astre éblouissant, l’éclipse que nous vivons dans les limites de notre langage, elle est cette évocation du langage, lui qui n’informe pas ainsi que le souligne Lacan dans « Ecrits I » (Paris : Seuil, 1966). Cette lumière, bonheur et souffrance d’ Antonin Artaud, fascinante, attirante et suggestive, nous tient cependant à distance, tel un « Faux Miroir » (Magritte, 1927, Modern Art Museum, N. Y. ) de 1’être, un faux miroir du créateur. Et c’ est dans cette distanciation imposée que, comme l’ homme—dieu de Borges modelant son propre fils (« Labyrinth »)
le traducteur tend, consciemment et inconsciemment, mais constamment, vers la « ressemblance », du moins en littérature, tout en étant lui—même trahi par ce pré—texte qu’est la langue sa langue… Et comme le créateur de Borges, la création tant désirée, tant aimée par anticipation, sera elle— même détruite par le feu animant les mots, la ressemblance tant recherchée redeviendra alors image, incitant le traducteur à désirer à nouveau intensément celle—là, afin de s’ y brûler encore et de renaître en celle—ci (« L’échelle du feu », 1933 et 1939 ; « Le coup d’épaule », 1957). Ces flammes détruiront encore et encore la ressemblance, jamais atteinte,
ours effleurée du souffle évaporé (« Les Fanatiques » 1945). Toute problématique déjà, en fait , pressentie par Robbe—Grillet qui tente d’interroger les peintures de Magritte dans sa recherche. . .
Car le thème du livre, sinon tout le livre – contenu et contenant- est un interrogatoire…
Sur la couverture de la version en français le lecteur (ou l’enquêteur ? ) peut voir, entre les auteurs et le titre, ce que le lecteur peut supposer être une reproduction d’ une peinture de Magritte (mais ceci seulement, peut—être par métonymie avec le nom du peintre qui est juste au—dessus d’ elle): une valise, aujourd’hui complètement démodée et que 1’ on pourrait trouver seulement dans un marché aux puces. Une valise en carton-pâte, de dimension moyenne soigneusement
fermée. Parce qu’elle est très fami1ière, elle évoque les voyages, hermétique, elle incite à désirer le contenu, Les questions affluent donc. On ouvre la valise, on ouvre le livre. La présence de cette espèce de boite de voyage, dès la page de couverture, juste au—dessus du titre posé là tel un éditorial un journal du soir, suggère un enlèvement, une autre version de la Guerre de Troie, peut—être. De toute façon il y a une certaine logique entre l’image et le titre, ainsi qu’une certaine objectivité scientifique pour le lecteur/enquêteur potentiel.
La version anglaise de Ben Stoltzfus, présente une couverture avec son caractère propre, une sorte de traduction libre de la couverture de la version française: sur fond noir et vert (au lieu du blanc de la version française) les deux tiers centraux de la page sont couverts par la reproduction photographique d’ une peinture de Magritte, une des premières aux Etats—Unis, « Le Faux Miroir » Sous cette photo en noir et blanc, apparaissent les noms de Robbe—Grillet et de Magritte dans cet ordre, l’un au—dessus de 1’ autre et, au-dessous d’ eux, en rouge sur fond noir, en caractères plus petits mais plus grands que d’ordinaire, le nom du traducteur et la mention de son travail original $ professionne 1 et personnel : « with an essay ».
Les deux points importants ici * du point de vue de la personnalité d’un traducteur, et du caractère de la traduction, sont d’ une part, le changement de peinture et autre part, 1’objectif ou le thème de cet ouvrage. « Le faux miroir », tel qu’il est peint par René Magritte, est un œil dont 1’ iris mire un ciel bleu parsemé de nuages, un ciel tel que l’on peut les voir dans ces pays du nord, clair et tranquille. Mais la pupille est un point noir, épais, dilaté, pupille de chat (ou soleil noir). L’ovale de 1’orbite, lui, est précisément dessiné entre des paupières aux cils ras. Mais est—ce moi qui projette mon rêve dans cet œil fixe, ou est—ce lui qui me scrute ? Le regard symbolise et transmet la vie (le mouvement, la temporalité, l’ humeur et le devenir), le regard est extérieur et intérieur, rassemblant « je » et « tu » pour que le changement dise quelque chose dece qui demeure dirait Thalès, ce qui demeure étant, en fait la relation entre « je » et « tu » . Captif de vous à moi, captif de moi à toi qui es encore moi, nous nous faisons la belle (peut—être dans les deux sens) en sautant dans le trou noir de 1′ inconnu, de 1’aventure, afin de rejoindre les nuages du rêve, nuages de 1’infini, libéré de notre structure, comme le papillon Vanessa tentant vainement de naître de sa crysallide (« Les complices du magicien », 1927) Mais au contraire, ne sommes-nous pas à jamais prisonniers de ce regard fixe qui garde pour lui les plaisirs d’ailleurs? C’est ce que paraît suggérer la couverture de la version anglaise de 1 enquête, dans la pénombre de son noir et blanc. Inaccessibilité de la belle captive, Mais aussi clin d’ œil culturel au public américain, puisque ce tableau est le sigle d’une grande chaîne de télévision, depuis 1936.
Le titre français pouvait ne pas être changé car tous ses termes (à 1’ exception du déterminant, « la ») sont utilisés en anglais : « Belle » évoque le Sud pour toujours nourricier de romance et de mystères, dans la collective, d’ attitudes d’ une autre époque, évoque aussi la femme que l’ on recherche pour sa réputation de beauté, coup de canons et amour, faits divers et phantasmes (« Le vieux canonnier », 1947). Une traduction qui gardera, du texte original, toute 1’ emprise du regard qui analyse, qui scrute et qui rêve, afin de démêler les imbroglios non seulement de l’ enquête mais aussi de la relation peintre/écrivain, écrivain/écrivain, écrivain/lecteur, moi/lui et moi/toi, encore de vous à moi, en somme. Elle les gardera en suivant le vocabulaire et le Style de Robbe—Grillet, ainsi que nous 1’avons déjà remarqué plus haut, mais aussi en observant la mise en page – court texte sur grandes pages blanches de 1 ‘ inachevé et de l’inconnu répartition en quatre épisodes (ou époques au sens étymologique ? ). Le cinquième acte est encore à venir,
viendra peut-être dans la version anglaise, puisque le roman per se est suivi de « The Elusive Heroine » écho de la dernière phrase du texte traduit : « Once more something urges me out of myself toward pleasure. »
Est—ce l’œil de la belle captive qui suit le traducteur depuis la page de couverture? Le perpétuel glissement des légèretés indéfinies qu’i1 charrie sont—ils annonciateurs de perpétuelles irrésolutions? De perpétuelles traductions? Ou la belle captive de l’ illusion surréaliste de l’ écrivain comme du peintre, vous renvoie—t—elle, traducteur, vos rêves de Lancelot ? Le texte que le traducteur a capturé dans ses pages assemblées reconstruit, poursuit le voyage sans arrivée dans le labyrinthe vécu par Robbe—Grillet, et le revit plus loin encore.
En effet, 1’ouvrage de Ben Stoltzfus comprend plusieurs parties; le roman traduit d’abord, une analyse 1ittéraire interdisciplinaire, ensuite, deux annexes après et une bibliographie concernant surtout la deuxième partie. La traduction semble donc être ici un prétexte, un texte précédant et motivant le texte didactique de Stoltzfus et qui conclut, par son objectif plutôt que par son contenu, le texte traduit. L’ aventure de la belle captive est disséquée, atomisée, dans ce commentaire minutieux. Dans le même temps, les textes de Robbe—Grillet et de Magritte sont relus et personnalisés par le savoir du traducteur qui n’en a pas fini avec sa ‘traduction’; d’ autre peintures en noir et blanc sont ajoutées, le mot de la fin (ou du re—commencement) étant réservé à Robbe—Grillet. . Mais le mystère de l’expression artistique (qu’elle soit littéraire ou visuelle) dans sa relation avec celui qui la crée et celui qui la lit, demeure ; 1’interrogatoire sur la présence/ absence de la belle captive et de son ou ses poursuivants, le faux dialogue du peintre et de 1’ écrivain, d’eux et du lecteur, de corridor en corridor, de cellule en cellule, de cahier noir en naufrage, de Cadi en
château en Espagne ( « Le Château d’hypothèses en fausses certitudes, boule de la réalité, la boule du infini indéfini, insaisissable, des Pyrénées »,) éclater la boule de la qui tourne dans comme nos mots que
l’
comme nos mots que l’inconscient garde en captivité. Et le traducteur, fasciné par la lumière du Principe du plaisir (1937), devient auteur parce qu’il aimait la perception objective d’un présent dilaté de Robbe—Grillet qui répond au rêve i1limité mais récurrent, concret, du présent de René Magritte (« Révélation du Présent », 1936). Parce qu’ aussi le traducteur comparatiste a cette marche constante du présent en créant des liens, rhizomes de 1 ‘ essence humaine, …
Le comparatiste — traducteur capturé sa belle, ou s’ est—il fait la belle dans sa réflexion de professeur ? L’essai qui suit le roman le surprend en pleine recherche d’ unité de ce qui se voulait être un questionnement sans fin et c’est cette contradiction qui justifie, à nos yeux, la nécessité, pour Ben Stoltzfus, de traduire le roman car son œuvre devient ce tableau enfantant un tableau vérifiant
observation de Cézanne : une œuvre n’ est jamais finie et nous sommes captifs de nos langue et langage, dans « La Belle
Captive » (1967), un des derniers mots de Magritte.
OUVRAGES CITES’.
Aragon, Louis, Matisse. Paris: Gal1imard, 1971.
Faucault Michel. « Mon corps, ce papier, ce feu » in « Histoire de la Folie ». Paris: Gallimard,1972,
Lacan, Jacques. « Ecrits I ». Paris: Seui1, 1966,
Robbe-Grillet, Alain; René Magritte. « La Bel1e Captive » , Bruxelles: Société Nouvelle d’ Editions Internationales, 1975.
“La Belle Captive”. Translated with an essay by Ben Stoltzfus, Berkeley, Los Angeles: University of California Press, 1995.
Serres, Michel. « Passage du Nord Ouest ». Paris: Editions de
Minuit, 1980.