La Renaissance et Luther: acteur ou victime?
Nous voici, en 2017, à la veille de célébrer l’affichage, par Martin Luther, de ses célèbres 95 Thèses sur la porte de l’église du château de Wittenberg, en Saxe-Anhalt. D’ailleurs, cet affichage même a été longtemps contesté, après avoir été célébré par l’église protestante. Mais de récentes études archéologiques ont prouvé, ou du moins rendu à peu près certain cet affichage qui était, à l’époque, un acte assez courant par les professeurs de l’université afin de susciter une « disputatio » qui devait être faite entre étudiants et professeurs.
Nous n’aborderons pas Luther le théologien au cours de cette courte présentation car ceci est laissé au savoir des savants et/ ou des fidèles protestants. L’objectif de notre rencontre est limité à l’homme Luther afin d’apercevoir qui il était, dans son temps : fut – il complètement de son temps, c’est-à-dire absolument conscient et utilisateur des nouvelles idées qui embrasèrent l’Europe du 16è siècle, pour nous limiter à cette période ? S’engouffra-t-il consciemment dans cette brèche ouverte par les grandes découvertes géographiques, la redécouverte des auteurs anciens, l’héliocentrisme du polonais Copernic qui, en fait, a fait tourner la tête de l’homme dans tous les domaines de la vie ? Ou, lui, l’homme d’Allemagne centrale plus industrieuse que tournée vers l’Italie bouillonnante, lui, le lecteur des sermons de Bernard de Clairvaux, a-t-il été influencé indirectement, inconsciemment, par les idées nouvelles ? Sans doute un peu des deux. Voyons d’abord qu’elle était cette période dans laquelle Martin Luther est né, le 10 novembre 1483 (selon son ami Melanchton) ou 1484 selon sa mère… peu importe.
La Renaissance est couramment définie, bien qu’un peu hâtivement, par l’art sous toutes ses formes : peinture, sculpture, musique, et architecture. Mais c’est aussi la période des grands voyages au-delà des mers bordant l’Europe, qui conduiront l’Espagne et le Portugal d’abord, puis la France et l’Angleterre dans leurs traces, vers des terres inconnues, vers des horizons nouveaux ouvrant les portes à un commerce autant inattendu qu’audacieux, ouvrant les portes à d’énormes possibilités intellectuelles et spirituelles grâce à la rencontre de peuples nouveaux vivant des cultures inconnues, si tant est qu’on leur reconnaissait une culture… Bref, l’homme, que les Anglais appelèrent l’Homme Nouveau, allait changer son regard sur l’univers et poser ainsi des questions nouvelles auxquelles il apportera des réponses souvent inattendues, elles-mêmes porteuses de vie nouvelle. Évidemment, la fulgurance de ces événements, la fulgurance de leurs résultats en science comme en politique et en religion, n’aurait pas pu être sans l’invention de l’imprimerie, invention qui servit grandement Luther et la propagation rapide de la Réforme. Mais qu’elle était cette Allemagne où naquit Luther ?
La Renaissance avança lentement au-delà des Alpes et vers le Nord. Elle s’étendit dans ces pays d’abord par le commerce à partir du nord de l’Italie, et on peut dire que le jeune Luder grandit parmi le gothique, et, même une fois établi à Wittenberg, son environnement était celui du passé par rapport au reste de l’Europe. En fait, le premier vrai contact de Luther avec la Renaissance fut au cours de son premier voyage à Rome de la fin de 1510 au début de 1511. Voyage qu’il effectua pour son Ordre. Cependant, on peut admettre que les changements, en Allemagne, arrivèrent surtout par l’intérieur du pays plus que par les importations, si on fait abstraction du développement de l’imprimerie. En effet, un dynamisme nouveau, par endroit contestataire, saisit le pays dans son économie, sa politique, et l’éducation. Et, bien que l’enseignement de Luther, à Wittenberg, fût original, il était un produit de ce mouvement contestataire.
L’économie en Allemagne était alors florissante grâce au développement des mines de charbon et de cuivre dans les montagnes du Harz et Erzgebirge, tout ceci dans un contexte d’un état qui se modernisait avec la montée en puissance des princes électeurs. Dans le sud de l’Allemagne, les industries familiales dominaient la banque et l’industrie en général, tandis que la mer Baltique, au nord, voyait le développement des constructions navales, des échanges maritimes et culturels ; dans le centre, notamment en Saxe-Anhalt, mines et transports se développaient entraînant ainsi l’expansion des villes anciennes comme Annaberg, Marienberg, Erfurt et Zwickau, zone géographique dans laquelle vivait Luther. L’expansion des villes signifie une augmentation importante de la population urbaine et villageoise. Bien sûr, les premiers bénéficiaires de cet essor furent les familles régnantes, ceux que l’on appelait les princes électeurs, comme, par exemple, les ducs de Saxe-Anhalt qui devinrent les protecteurs de Luther, du moins Frédéric-le-Sage. Ces princes électeurs avaient très tôt exercé une autorité certaine sur leur territoire, notamment sur l’église. Impliqués dans le renouveau de la vie intellectuelle dans leur domaine et dans l’empire, ils l’étaient aussi dans la vie spirituelle. De fait, Frédéric-le-Sage était un grand collectionneur de reliques déposées à l’université de Wittenberg -qu’il avait créée et où Luther enseigna. Il devint un protecteur puissant de Luther et de la Réforme qui prit forme dans son université même.
En fait, la société était encore dirigée, organisée par la foi chrétienne, en quelque sorte hiérarchisée, structurée par Rome, bien que les dernières décades du 15e siècle aient montré une inquiétude latente, et même active comme en Espagne où quelques théologiens, parmi lesquels Bartolomé de las Casas (1474-1566), obligea les hommes politiques et la société en général à participer à un débat fondamental sur la vraie nature de la chrétienté et sa présence dans le monde. L’église-institution, la religion, et l’apprentissage allaient y être reconfigurés surtout sous l’influence de 3 archevêques : Ernando de Talavera, Pascual de Ampudia, et Francisco Jiménez de Cisneros, au cours des deux premières décades du 16e siècle. Ils lancèrent, en fait, l’église nationale d’Espagne dans l’âge moderne. On peut dire, dès lors, que si Luther lança la Réforme en combattant la papauté, en Espagne la réforme de l’église épousa un partenariat avec Rome, ce qui amena les Espagnols à appeler la Réforme de Luther « la peste allemande ». Mais les mouvements contestataires ne furent pas qu’espagnols, loin s’en faut. L’Ordre des Augustiniens auquel appartenait Luther était lui aussi divisé (d’où le premier voyage à Rome de Luther) entre confirmation de deux sous-ordres et union en un seul ordre. Cette tentative d’union de deux règles touchait, en fait toute l’église en Allemagne. En effet, l’esprit nouveau projetait une auto-détermination commune tant pour ce qui concernait les affaires de l’église que celles du temporel. La dispute alla si loin qu’elle fut portée devant la diète impériale sous le titre de « Plaintes de la Nation Allemande », qui provoqua une grande protestation dans tout le pays.
Mais Martin Luther ne grandit pas dans cette seule perturbation religieuse, mais aussi, et peut-être surtout, dans une époque extrêmement préoccupée, tout au long du 15e siècle et bien avant dans le 16e siècle, par la vie et la rédemption après la mort ainsi que nous le prouvent les ex-voto dans les églises, mais aussi les peintures et les textes écrits en théologie et en philosophie. La population dans laquelle grandit et fut éduqué Luther n’était donc pas très optimiste comme l’étaient les humanistes en général, mais montrait plutôt une certaine religiosité qui nourrissait une grande incertitude sur la nature de la vie post mortem, comme le montre nombre de « Danses de la mort » peintes sur les murs des églises un peu partout en Europe. La question fondamentale était donc : qu’adviendra-t-il après la mort ? Enfer éternel ou réconciliation avec Dieu ? C’est, entre autres, à cette question que Luther allait apporter une réponse par sa recherche incessante de croyant, son cheminement de théologien, de philologue, en somme par sa personnalité que nous allons maintenant tenter de cerner.
Fils d’un entrepreneur minier du côté paternel, et d’une famille d’universitaires du côté maternel, Martin Luder est né, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le 10 novembre 1483 ou 4. Il fut baptisé le 11, jour de la saint Martin de Tours. Quelque part une prémonition ou une prédestination puisque saint Martin coupa son manteau pour réchauffer un mendiant en suivant les Écritures à la lettre : « Tu aimeras ton prochain plus que toi-même. » La petite ville minière de Saxe-Anhalt où il naquit, Eisleben, était près de Mansfeld où la famille alla s’installer quelques années après, pour développer leurs affaires. En fait, ce Land allait être le centre de la vie de Luther, qui ne voyagea pas beaucoup hors du pays, si ce n’est à Rome par deux fois. Le plus loin à l’ouest où il alla fut Worms pour la célèbre diète de 1521, au nord on peut considérer Leipzig, un peu au-delà de Dresde à l’est, et au sud-ouest, Erfurt. Mais dans ce périmètre là il bougea beaucoup, jusqu’à la fin de sa vie.
En ce qui concerne le propos de cette analyse, il apparaît difficile d’évaluer l’influence des événements liés à la Renaissance sur le jeune Martin. En effet, il semble que la famille Luder ait connu très peu des découvertes, du développement des arts, en Europe en général, et des troubles religieux traversés par l’Espagne. De récentes recherches archéologiques menées récemment près de la maison des Luder à Eisleben n’ont trouvé aucun objet ménager ou tissu qui aurait pu indiquer un achat venant de l’extérieur du pays. Il en est de même du monastère augustinien où il entra 25 ans après. D’ailleurs, jusqu’au moment de sa mort Luther se concentra sur l’Allemagne et l’Europe, ignorant les pays découverts outre-mer. A ceci, il faut cependant mettre une petite réserve car dans les années 1520 il mentionna que dans bien des foyers de la terre récemment découverts l’Évangile n’avait pas été prêché. De plus, dans son Supputatio annorum mundi, publié dans les années 1540, il précise que bien des maladies mortelles ont été importées des îles nouvellement découvertes, annonçant une fin du monde prochaine. En fait, seules les missions intéressaient Luther.
Cependant, il reçut une éducation universitaire qui était humaniste dans son ensemble, et sur laquelle nous reviendrons.
On sait peu de choses sur son éducation d’enfant et d’adolescent, sinon par ce que l’on appelle les fameuses « Propos de Table » qu’il entretenait avec ses invités, et sur lesquels, bien sûr, il faut se méfier bien que la mémoire d’alors était bien plus précise et fiable que la nôtre aujourd’hui. Mais ce que l’on sait, c’est que son père le destinait à une profession de Droit comme il était de tradition dans une famille bourgeoise, socialement ambitieuse. Enfant, Luther alla à l’école d’abord à Magdebourg (la capitale du Land) puis à Eisenach, enfin à Erfurt à l’université. Il entra au monastère avant la fin de ses études de Droit. Mais qu’elle fut donc son éducation religieuse ?
Toute la vie de la famille reposait, au quotidien, sur la mère qui était une femme dont la piété, aux dires de son fils, s’appuyait essentiellement sur la peur des démons et des sorcières. On peut par conséquent conclure que l’éducation religieuse de Martin fut standard, dominée par une religion populaire centrée sur la vénération des saints et la dévotion concrète, proche, sans doute, de la bigoterie. En somme, une éducation religieuse conforme à celle de sa génération dans cette région de l’Allemagne. Mais ceci fait que nous ne pouvons pas affirmer, comme certains critiques l’ont fait, que les bases de la Réforme développée par Luther sont le fruit d’une opposition à ses parents car celle-ci n’apparaît vraiment que dans sa décision d’entrer chez les Augustiniens. L’image qu’il avait d’un Dieu tout-puissant, sans miséricorde, image qui le tourmenta même dans sa cellule de moine était celle de ses contemporains car Jean Calvin qui, lui, venait d’une famille bourgeoise éduquée prêcha un Dieu tout-puissant tout à fait comparable à l’image qu’entretenait le jeune Luther. Le Dieu de Calvin était un Dieu de prédestination qui pouvait condamner ou sauver les humains, ce qui provoquait une longue vie d’anxiété pour chacun des croyants : qui était élu ? Au contraire, Luther a été capable d’aller au-delà de cette vue pour trouver un Dieu de miséricorde au cœur des Écritures. Cette découverte non seulement le libéra lui-même de ses peurs et de ses angoisses, du moins jusqu’à un certain point, mais libéra des millions de ses contemporains de cette même peur.
Par contre, nous avons quelques indications sur des traits qui le différenciaient de ses contemporains, traits liés aux circonstances familiales et culturelles comme, par exemple, ses responsabilités en tant que frère aîné qui requirent en lui un sens de l’indépendance efficace., ce qui l’aida lorsqu’il quitta la maison familiale à 13 ans pour aller étudier. D’autre part, Luther garda une admiration profonde pour les qualités de ménagère de sa mère et le travail assidu de son père qui permit à la famille de grimper l’échelle sociale, toutes qualités très chrétiennes. Cette admiration montra souvent son empreinte dans ses décisions courageuses : comme eux Luther-le-Réformateur avança avec détermination, avec une énergie sans faiblesse. Il avança sans douter malgré l’animosité qui surgit, et au contraire souvent stimulé par elle comme par exemple dans sa décision d’entrer au monastère contre l’avis de tous, puis d’aller à la diète de Worms pour comparaître devant l’empereur, là aussi contre l’avis de tous. Autre trait peut-être développé dans son enfance mais surtout par sa lecture de la Bible, le refus d’être protégé quand il apparaissait que cette protection ou assistance , même celle du prince régnant, le restreindrait dans ses convictions et dans ses actes. Par exemple, lorsque le prince électeur Frédéric-le-Sage lui suggéra de ne rien écrire contre la collection de reliques de l’archevêque électeur de Mainz, Luther lui rétorqua qu’il ne ferait rien qui irait contre ce qu’il croyait être vrai et absolument nécessaire pour la rédemption éternelle de l’âme. Son refus du compromis et sa rage verbale sont évidents aussi dans ses correspondances et autres écrits -surtout dans ses pamphlets et traités comme, par exemple, celui intitulé « Contre la Papauté de Rome fondée par le Diable. » Cependant, l’impulsion et la force, l’excitation sociale, étaient des caractéristiques de son époque, dans le milieu dans lequel le jeune Martin avait grandi. Mais cette détermination, ce courage, cette force, cette impulsion furent apprivoisés par l’étude des langues, de l’allemand, de la musique qu’il mit au service de la Réforme. Il crut fermement au grand bénéfice de l’éducation, en homme de son temps, mais en croyant surtout. Bien plus tard, à Wittenberg, il déclara, dans un de ses « Propos de Table » : « Dieu a préservé l’église par les écoles. Elles sont les gardiennes de l’église. »
C’est à l’université de Erfurt que Luther entra vraiment en contact avec les humanistes. Cette université était assez récente (14e siècle) et elle offrait un enseignement très moderne en philosophie et philologie, tant dans la méthode que dans le contenu. Luther ne pouvait que se réjouir de la diversité des enseignements offerts qui favorisait les discutions fondamentales à propos de méthodes et choix à adopter. En conclusion, Martin Luther entra de plain pied, à Erfurt, dans l’humanisme intellectuel : il lut là les auteurs anciens, eut des professeurs très proches de l’humanisme, fréquenta des étudiants eux-mêmes entraînés vers ce courant ; enfin, et peut-être surtout, il prit connaissance de méthodes et critiques qui s’éloignaient avec force de la scolastique. Bien qu’en fait Luther ne se soit jamais complètement libéré de ce courant, on peut trouver du mépris envers lui tout au long de sa vie : : il qualifiait souvent les scolastiques de « sophistes creux ». L’influence de l’humanisme le suivit, lui aussi, toute sa vie comme on peut le noter dans son goût pour le mot juste, le respect absolu des sources, la rhétorique dans ses lettres, son intérêt pour les auteurs grecs, notamment Ésope, et même dans son amour pour la musique qui se diversifia au cours de la Renaissance. Cependant, il n’adopta jamais l’anthropologie humaniste d’un Érasme de Rotterdam qui proclamait l’autonomie de l’être humain. Luther avait une toute autre approche du libre-arbitre.
Mais il faut souligner que Luther a donné plus d’importance à l’expérience personnelle, vivante, qu’à la connaissance intellectuelle. Par exemple, au cours d’un Propos de Table (16/07/1539) il dit que c’est par un vœu à Sainte Anne, pris au cours d’un violent orage sur la route de Mansfeld, qu’il entra au monastère. Expérience et détermination : l’expérience concrète, littérale de la connaissance de la Bible l’amène aux 95-Thèses, mais peut-être plus encore au point de départ de la Réforme. Cette foi très concrète allait aussi le mener à avoir une attitude très controversée au cours de la Révolte des Paysans commencée en 1525 : si il soutint toutes les demandes des paysans il exhorta les deux camps à la paix, surtout après les exactions des paysans souabes. Il écrivit alors : « Les chrétiens ne combattent pas pour eux-mêmes avec sabres et mousquets, mais avec la croix et la souffrance tout comme le Christ, notre guide, qui ne porte pas de sabre et accepta d’être pendu à la croix. »
On peut apercevoir, à ce point, que directement ou indirectement, Luther-le-Réformateur vit sa théologie influencer la vie politique de l’empire, non seulement au cours de la Révolte des Paysans mais par l’adoption rapide, par les princes électeurs, de la Réforme dont ils se servirent pour tenir tête à l’empereur Charles Quint au cours de la diète de 1529 où ils présentèrent une « protestation » dans laquelle ils déclarèrent obéissance en tous les domaines sauf le religieux. Le terme « Protestantisme » était né.
En conclusion, il nous faut souligner que Luther est né dans une Allemagne prise dans des changements politiques importants avec l’arrivée d’un nouvel empereur venu d’une Espagne résolument catholique et unie par les grandes découvertes. En Allemagne, les princes électeurs commençaient à bouger et ils saisirent la Réforme proposée par Luther pour s’éloigner de la structure du Saint Empire Romain Germanique et acquérir plus d’autonomie. Qu’en est-il de Luther lui-même ?
Tout d’abord, il a été au bord de la civilisation : laissant, mais pas tout à fait, le Moyen Âge, pour entrer, mais pas tout à fait, dans l’époque moderne. Il naquit dans une Allemagne pas encore pleinement touchée par la Renaissance, mais il apprit à l’université la force du mot et des idées par les auteurs grecs et latins, ce qui lui permit, moine, de lire la Bible dans toute sa vérité : la miséricorde de Dieu et la possibilité qu’il y avait de vivre en vrai chrétien, en dépit de l’environnement.
Sa conviction d’homme de foi complètement appuyée sur la Bible ne put devenir parole pour ainsi dire prophétique que par sa personnalité : il résista à tous ses ennemis, empereur et pape inclus ; il résista aussi à Érasme en dépit de toute l’élégance de ce dernier. Ses amis durent aussi le supporter à cause de sa grandeur d’esprit ; les princes électeurs saxons le tolérèrent en dépit de ses diatribes et désaccords : ils s’alignèrent sur sa vision jusqu’à mettre leur territoire et leur vie en danger ; beaucoup lui fut pardonné en tant qu’homme car il aimait les arts et la musique, il aimait les conversations en bonne compagnie qui le rendaient toujours gai et accueillant même quand le danger guettait ; homme franc, homme de famille, ouvert aux autres, ses interlocuteurs se sentaient libres de ne pas être d’accord avec lui ; son habileté à répondre avec gentillesse et de beaux gestes firent que sa dureté verbale, même vulgaire parfois, était oubliée, enfin presque oubliée… Mais on doit souligner que son succès en Allemagne fur dû surtout à deux talents : son intuition politique, et ce don qu’il avait de créer un personnage public, plus son usage exceptionnel de la langue vernaculaire qui lui donnait une force de conviction elle aussi exceptionnelle au pupitre. Il devint une star de la communication, aidé par le développement de l’imprimerie. Alors, oui, Luther fut un acteur de la Renaissance : intellectuellement un humaniste par sa conviction que la vérité se trouvait dans les mots, par sa conviction qu’il fallait vivre en cohérence avec ses écrits, et par son talent à utiliser les mouvements politiques liés à l’ouverture de la réflexion de l’homme sur lui-même, son talent à utiliser toutes les techniques de communication de l’époque, ou du moins ne les refusa-t-il pas… Cependant, ces derniers mots furent nous sommes tous des mendiants… Encore un peu victime…