Je me souviens de l’atmosphère de cette petite pièce dans laquelle une Sr, dont la cornette me faisait rêver à un envol que je ne pouvais pas définir à l’époque, nous enseignait le catéchisme ; une porte vitrée, une lumière plutôt tamisée dans laquelle les mots d’Enfer, de Purgatoire et de Paradis avaient force de vérité. L’Enfer était mystérieux parce que j’avais du mal à ressentir ce que pouvait être les douleurs de ce feu permanent, donc je n’y attachais qu’une importance relative, d’autant plus que de l’autre côté du balancier, il y avait le Paradis, toujours possible grâce à la purification dans le Purgatoire. Donc, j’avais confiance, sans doute en moi et peut-être un peu plus vaguement en Dieu, en dépit des menaces surtout pédagogiques de la sr enseignante : il y avait toujours une possibilité d’avoir une vie dans la joie après la mort humaine. Il me semble, avec le recul des ans, que ma confiance tenait aussi à la distance que ma maman protestante soutenait : il y avait l’institution et Dieu, et c’était à lui, surtout, que je devais me fier. Bien qu’à ce moment-là on ne parlât pas vraiment de Dieu-Amour, du moins pas dans ma famille, cette distance enseignée par Maman m’a permis de faire très tôt la différence, et de la mûrir, entre la Foi et l’institution, entre l’homme et Dieu : l’homme est faillible, l’église peut être corrompue, mais Dieu est la Vérité et ne trahira jamais l’homme : les clercs, les religieux, les fidèles engagés ou non viennent et partent, mais Dieu est éternel, éternellement présent pour chacun de nous depuis la Création, le monde est en sécurité dans ses bras qu’Il n’écartera jamais. C’est la source toujours riche et constante de notre, de ma confiance en Lui. Ce qui ne veut pas dire que je ne me sois pas interrogée dans le passé, ou que je ne m’interroge pas parfois sur Son écoute réelle devant les crimes commis par nous, les humains. Je ne peux pas réellement ne pas questionner Son silence devant les camps de concentration et ne pas admirer, envier même la Foi des Juifs et autres groupes, du moins la foi de ceux qui ont confié leur vie dans les bras ouverts de Dieu (ou qui ont absolument cru qu’Il avait les bras ouverts chargés de tendresse) dans la réalité horrible de la guerre. Réalité qui ne cesse de se répéter. Il me faut à chaque fois me souvenir que l’infini amour de Dieu pour nous le faisait et le fait pleurer de détresse devant notre folie. Ce n’est pas ce qu’Il voulait que nous fissions de notre liberté, mais comme une mère pleure devant les faiblesses parfois tragiques de son enfant sans cesser de l’aimer et de l’aider de toutes les manières, Dieu pleure. Comme une mère Il pleure des larmes d’amour, qui sont riches de pardon, de joie d’être le Père, notre Père. Dieu pleure sur mes erreurs, sur mes doutes, sur mon silence devant Lui aussi, mais je sais ce que laisser pleurer la solitude veut dire : ces mères qui s’unissent dans la prière chaque mardi dans le monde pleurent sur leurs enfants perdus d’une façon ou d’une autre. Elles sont des monuments de confiance, de cette confiance qui est faite de force d’accepter et de force de demander de l’aide par la prière, souvent leur seul medium. Leurs cris dans le murmure de leur prière sont leur Foi dans sa profonde vérité, Votre Vérité Seigneur : elles savent que Votre amour maintiendra leur amour vivant, aidant, guérisseur, de leurs enfants. Et si je les écoute et les rejoins dans leur prière c’est parce qu’elles sont modèles pour moi, moi qui suis protégée de tant de malheurs tragiques, apparemment sans remèdes…
Oui, je peux douter sur le silence de Dieu, et l’appel de Etty Hillesum à aider Dieu n’est pas tous les jours clair pour moi. Cependant, je me souviens encore de Ada, morte à 5 ans : sa Maman était dans mon séminaire en Pologne et j’ai pu l’écouter, la suivre même par courriel, l’embrasser à son retour et aller les voir chez eux. Mais dans cette douleur immense de ces jeunes parents, il y avait la Confiance en l’amour de Dieu qui, maintenant, allait faire vivre Ada dans la Joie éternelle, elle qui avait dit à sa Maman, à l’hôpital, « je vais rejoindre Jésus. » M’ont-ils confortée dans ma confiance ? ou l’ont-ils fait naître ?
Mais si la confiance était abandon au Seigneur ? Ecoutons sr Madeleine Dédoui, op : « Oser faire à nouveau confiance en s’abandonnant à la miséricorde du Seigneur est possible si nous nous appuyons sur Lui. Dieu nous fait confiance malgré notre péché, une totale confiance. Je ne suis pas digne de le recevoir et je dis à Jésus : « Dis seulement une parole et je serai sauvée. » La confiance est le moyen le plus sûr pour obtenir la grâce du Seigneur. … S’abandonner à Dieu lui-même nous donne la capacité de bâtir un monde plus juste et fraternel, un monde où le risque de la confiance l’emporte. »
La confiance bâtit mon espérance, ma foi, ma vérité : le Seigneur tient le monde entre ses bras, sur Son Cœur : je suis consolée parce que la suite de ma marche sera dans son Cœur et je connaîtrai le feu de Joie ineffable de son Amour. Enfin, si je garde sa Présence vivante en moi. Chaque jour ? Chaque instant ? ou au moins à l’instant final ?